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que celles de la beauté, bien qu’on en parle moins et qu’on soit moins disposé à leur reconnaître les mêmes privilèges. Et cependant qui est soumis à la plus rude épreuve, le convive qu’un riche festin sollicite à de périlleux excès, ou le mendiant à jeun dont la faim mord les entrailles ?

Il lui arriva parfois de laisser percer ses espérances. Maggie écoutait alors, avec une sorte de curiosité enfantine, sans répugnance, sans enthousiasme, simplement comme une musique nouvelle, les paroles qui débordaient du cœur de Philip. Ses rêves la trouvaient incrédule. Un jour que, rougissant comme une jeune fille, il lui rappela la promesse qu’elle lui avait faite, — à douze ans, chez M. Stelling, — de l’embrasser comme elle embrassait son frère, il eut le terrible mécompte de la voir, comme alors, se pencher vers lui, et sans le moindre émoi, sans la plus légère hésitation, lui donner le baiser qu’il réclamait ainsi. — Vous ne m’aimez donc pas ? lui disait-il, heureux et désespéré.

— Quelle question !… Vous voyez bien que si.

— Non… c’est par pitié que vous tenez ce langage.

— Vrai, je vous aime, répétait Maggie, plus enfant que jamais. Je ne vous mentirais pour rien au monde. Tout ceci m’étonne et me semble étrange : cependant je crois que je n’aimerai jamais personne mieux que vous, et que j’aurais plaisir à vous voir heureux par moi.

Elle disait vrai. Philip avait conscience qu’elle ne lui cachait rien. — Parlez ! parlez ! s’écriait-il… Ne suis-je pour vous qu’un frère ?

— Un bon frère, un frère bien-aimé, répondait-elle… Je vous aime comme j’aimais Tom lorsqu’il avait été bon pour moi… Puis votre esprit est tout un monde… Je ne me lasserais jamais d’être auprès de vous.

L’impatient jeune homme s’irritait parfois de ce langage sincère. Alors de grosses larmes montaient aux yeux noirs de son amie ; elle prenait, dans ses belles et fortes mains, celles de Philip, et sur son front pâle, sur ses joues frémissantes, elle posait le baiser de paix.

Arriva bientôt le dénoûment inévitable de cette périlleuse idylle. Elle durait depuis près d’une année, quand un jour, ouvrant la porte de la maison pour aller aux Fonds-Rouges, Maggie se trouva face à face avec Tom, revenu en toute hâte de Saint-Ogg, à une heure où jamais il ne quittait ses travaux. — Vous voilà, frère ? lui demanda-t-elle d’une voix mal assurée. On ne vous attendait pas si tôt.

— Je m’en doute. Où allez-vous ?…

Et comme elle hésitait à répondre : — Je vais vous le dire, reprit-il… Vous allez aux Fonds-Rouges… Je vous y accompagnerai… J’ai affaire, moi aussi, à Philip Wakem.