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Maggie avait froid au cœur. Elle se sentit pâlir. — Je n’irai pas, dit-elle.

— Vous irez, reprit Tom, mais quand nous aurons causé. Où est mon père ?

— Sorti à cheval.

— Et ma mère ?

— Au fond du jardin.

— Très-bien ; je puis donc entrer sans être vu… Suivez-moi ! Elle obéit. Il referma la porte sur eux. — Avant tout, lui demanda Maggie, mon père sait-il quelque chose ?

— Rien ; mais il saura tout, si vous ne répondez pas franchement à toutes mes questions.

— Je n’ai jamais menti, repartit Maggie, qui sentait vivement l’outrage et la menace cachés au fond de ces rudes paroles.

— Vous avez trompé, cela revient au même. Soyez vraie cette fois, ou mon père saura tout.

— Pour mon père donc, je répondrai.

En moins d’une minute, Tom fut complètement au courant de ce qui s’était passé. Il demeura un instant sans parler, les yeux baissés, fronçant le sourcil, les mains dans ses poches. Puis, regardant sa sœur, et d’un ton glacial : — Maintenant, Maggie, lui dit-il, vous allez choisir. Ou vous me jurerez, la main sur la bible de famille, que vous ne rencontrerez plus Philip Wakem, que vous ne lui adresserez plus la parole autrement qu’en public, ou je dirai à mon père tout ce que vous venez de me révéler. Vous savez alors ce qu’il pensera de vous… Décidez vous-même.

Parlant ainsi, Tom avait ouvert la Bible à la page sacrée où les annales de famille sont inscrites.

— N’exigez pas ceci, Tom ! dit Maggie, humiliant jusqu’aux prières sa fierté blessée… Laissez-moi le voir une dernière fois ;… laissez-moi du moins lui écrire… Il n’est pas heureux… Je vous promets ensuite…

— Pas de conditions,… c’est moi seul qui ai le droit d’en faire… Vous m’avez entendu… Décidez-vous, et sans délai ;… ma mère peut rentrer d’un moment à l’autre.

— En ce cas, ma parole doit vous suffire… Je n’ai pas besoin de jurer sur la Bible.

— J’ai besoin, moi, de vous lier par ce qu’il y a de plus saint… Posez ici votre main, et prononcez le serment que j’ai formulé. Songez à ce que vous avez fait, tandis que mon père et moi, nous usions notre vie pour réhabiliter le nom que vous portez. Songez qu’en ce moment où, grâce à quelques tentatives bénies du ciel, je vais peut-être racheter l’honneur compromis de ce pauvre père, vous alliez, vous, le replonger dans un abîme d’humiliations et de douleurs.