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la moindre des difficultés que rencontrent les bâtimens lorsqu’ils s’aventurent dans l’ouest ; ils doivent tourner par le sud ou par le nord ce glacier, long de quarante à cinquante milles, qui marche lui-même avec une lente majesté, emportant une population de phoques et d’oiseaux, et chargé d’escarpemens bizarres. Une escorte de glaçons détachés l’accompagne, montagnes flottantes qui, suivant l’état de l’atmosphère, revêtent des teintes variées et renvoient des reflets éclatans ou sombres. « Ce n’est pas, dit Mac-Clintock, un spectacle trivial, propre aux pensées vulgaires, et il imprime dans le cœur de l’homme un profond sentiment de sa petitesse, quand le steamer glisse au pied de ces gigantesques murailles. » Toute cette masse navigue dans un grand silence ; quelquefois un sourd craquement, semblable au bruit d’un tonnerre lointain, se fait entendre : c’est une montagne qui se détache avec effort du glacier principal pour prendre place à ses côtés, refoulant les vagues et soulevant une tempête de quelques instans.

Le Fox, poussé par les vents du sud-est, s’engagea par le passage du nord, le long des flancs du main-pack, jusque dans la baie de Melville, au nord-est de la mer de Baffin ; mais il fut bientôt arrêté par un calme profond, et les jours s’écoulèrent à louvoyer, sans trouver d’issue, au milieu des canaux inextricables du glacier. On était à la fin d’août, les jours décroissaient avec rapidité, la température baissait, les oiseaux devenaient rares et s’enfuyaient par bandes vers le sud ; la saison était bien avancée pour qu’on pût encore espérer de pénétrer dans les détroits de Lancastre et de Barrow. Cependant le vent et les courans continuaient d’accumuler les glaces derrière le Fox, menaçant de lui couper la retraite. Le petit bâtiment, n’ayant ni une force ni un poids suffisans pour écarter les obstacles qui l’enveloppaient, s’engagea de plus en plus, au milieu même de ses efforts, et bientôt il se trouva emprisonné. Le 30 août, le thermomètre tomba à 25 Fahrenheit[1]. Après quelques vaines espérances apportées par les brises sud-est et des tentatives infructueuses pour franchir le cercle des glaces, au milieu de septembre, sous une température qui variait entre 17 et 3 degrés, et par un fond d’eau de 80 fathoms[2] dont la surface gelait toutes les nuits, il devint évident qu’il faudrait hiverner attaché aux flancs du main-pack. Il ne restait plus qu’à se résigner et à faire les préparatifs nécessaires. Du moins le bâtiment était abondamment pourvu de vivres, de munitions, de vêtemens ; l’équipage était en bonne santé et acceptait bravement les nécessités de sa situation, plein d’espoir

  1. On sait que le point de congélation de l’eau à cette échelle est 32 degrés, et que 9 degrés Fahrenheit égalent 5 centigrades.
  2. Le fathom vaut 1 mètre 829 millimètres.