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Heureux les fiancés ! Errant par les sentiers,
Ils causent à l’abri du verger domestique,
Et sur leurs fronts la lune entre les noisetiers
Glisse, de leurs amours compagne sympathique.

Bienheureux les époux ! Assis près d’un berceau,
Aux soupirs de l’enfant tous deux prêtent l’oreille,
Et tous deux, soulevant doucement le rideau,
Se montrent le mignon qui bégaie et sommeille.

Mais, par un soir pareil, malheureux et maudit
Celui qui, regagnant sa chambre solitaire,
Contemple sa maison morne et froide, et se dit :
— Moi, je suis sans amis et sans amour sur terre !

Pour lui, les chants d’oiseaux sont pleins d’éclats moqueurs,
Les baisers du soleil sont comme des morsures ;
L’épanouissement des bourgeons et des fleurs
Creuse au fond de son cœur de profondes blessures.

Et tandis que la terre aux sources du printemps
Se retrempe et se pare, il entend à toute heure,
Comme des mendians à son seuil grelottans,
Le vide et l’abandon pleurer dans sa demeure.

II.

LE BUCHERON

Dodo, l’enfant do ! — La forêt sommeille,
Assis près d’un feu clair et réchauffant,
Un vieux bûcheron endort un enfant.
L’enfant a l’œil bleu, la lèvre vermeille ;
Le vieux est courbé, ridé, grisonnant…
— Dors, mon doux mignon ! la forêt sommeille.

Dors, le plus beau temps est l’âge où l’on dort ! —
Une étoile luit, un vent léger passe.
L’aïeul se souvient qu’à la même place
Il berça le père… — Ah ! d’un meilleur sort
Que Dieu ; mon enfant, te fasse la grâce !
Dors, le plus beau temps est l’âge où l’on dort.

Ton père était beau comme un jeune chêne,
Souple, agile et prompt comme un écureuil ;
Il avait la voix fraîche du bouvreuil
Lorsque la saison d’amour est prochaine ;
La force et l’ardeur brillaient dans son œil.
Ton père était beau comme un jeune chêne.