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lieu, à la place d’honneur ; c’est la Sorbonne de l’ouvrier. Le Conservatoire est sans contredit un des plus beaux et des plus utiles établissemens de la capitale. C’est à la fois un musée industriel de premier ordre, une excellente bibliothèque, et une académie ; les hommes les plus éminens y viennent faire chaque soir des leçons que les ouvriers peuvent suivre et où les savans profitent. L’auditoire de tous ces cours est plus intéressant pour certains observateurs que les sciences mêmes qui s’y enseignent. Qui ne se sentirait ému en voyant ces jeunes hommes que le travail manuel a absorbés dès leur enfance, qui mènent la dure vie de l’atelier, et qui le soir, après une journée de fatigue, viennent sur ces bancs demander à la science le plus noble des plaisirs et le plus sûr moyen d’améliorer leur condition ?

Enfin, dans cette rapide revue des efforts tentés à Paris pour éclairer les masses, on ne nous pardonnerait pas d’oublier l’Orphéon. La ville envoie dans toutes les écoles communales un répétiteur de chant ; elle a des inspecteurs et des directeurs de l’Orphéon, qui sont des compositeurs habiles. À certains jours, tous ces musiciens, enfans et adultes, viennent de leurs écoles ou de leurs ateliers se grouper dans un vaste amphithéâtre sous le bâton du chef d’orchestre, et alors les habitués des Italiens et de la Société des concerts entendent des chœurs chantés par des milliers de voix, qui remplissent l’âme d’un mâle enthousiasme. Et ce n’est pas seulement cette harmonie qui les enchante ; ce qui les frappe surtout, c’est le peuple initié aux grandes jouissances de l’art, le peuple émancipé deux fois, par la musique et par la science.

Faut-il avouer, après cette énumération de nos richesses, que ce n’est là qu’un début ? On se sent pour ainsi dire le cœur réchauffé quand on a parcouru pendant un mois toutes ces écoles du soir, quand on a vu ici de jeunes ouvriers étudiant les élémens du dessin et de l’architecture, là des hommes en cheveux gris traçant d’une main mal assurée les premières lettres de l’alphabet, ailleurs un auditoire en blouse écoutant avec avidité une grave dissertation sur la législation ou sur une théorie scientifique d’un ordre élevé. Ces amphithéâtres remplis à déborder font illusion un moment ; mais en y réfléchissant qu’est-ce que cela devant l’immense population des ateliers ? Quelles foules restent encore pour les bals, pour les cabarets, pour les théâtres ! Combien de villes manufacturières n’ont pas même essayé de suivre le généreux exemple de la capitale ! combien d’autres se sont arrêtées trop promptement après un premier essai infructueux ! Ce n’est rien que de fonder des cours, il faut conquérir les premiers auditeurs. On se décourage vite, parce qu’on ne réfléchit pas que la science est pour les ouvriers un monde nouveau