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Depuis cette époque, tu n’as jamais broyé de couleurs ?

PHIDIAS.

Jamais. C’est pour toi que j’ai voulu me souvenir de mon premier métier. Demain je brûlerai ces pinceaux. Tu cours un danger, tes amis peuvent te perdre : il m’a semblé que seul je te connaissais assez pour te bien peindre.

PÉRICLÈS.

Combien je m’enorgueillis d’une telle exception !

PHIDIAS.

Mon dernier tableau est de l’année où les ossemens de Thésée furent rapportés de Scyros. Bodastoreth, le Phénicien rusé qui vient ici chaque printemps, me l’avait acheté ; il l’a revendu, m’a-t-il dit, à un habitant d’Aradus, sur la côte de Phénicie.

PÉRICLÈS.

Je ne te demande pas pourquoi tu es aussi bon peintre qu’habile sculpteur : un artiste tel que toi doit exceller en toutes choses ; mais apprends-moi, je t’en prie, pour quel motif tu as délaissé l’art de peindre.

PHIDIAS.

Étant jeune, je vis mes frères Panœnos et Plistæonète étudier la peinture. Par esprit d’imitation, je fis comme eux. Dès que je fus capable de réfléchir, je m’aperçus que la sculpture avait plus de puissance, et se proposait des types plus grandioses. Le peintre s’attache aux apparences et s’épuise en expédiens pour produire l’illusion. Le statuaire lutte avec la matière, la dompte et la façonne à son gré, il la sent s’animer dans ses mains. Son idée prend un corps : elle ne se voit pas seulement, elle se touche. Quand les poètes ont cherché, pour expliquer la création de l’homme, l’image la plus forte, Ils l’ont empruntée à la sculpture : Prométhée prend le limon de la terre et le pétrit. Pour moi, je ne consens à faire ni des hermès ni des athlètes : ce sont des dieux qui sortent de mon ciseau, et les dieux que j’ai créés, l’univers les adore.

PÉRICLÈS.

En t’écoutant, je me crois transporté dans un temple spaciux, et je respire les parfums du sanctuaire.

SCÈNE II.
MÉNON, PHIDIAS, PÉRICLÈS.
PHIDIAS.

Que me veux-tu, Ménon ?

MÉNON.

Je suis chargé d’un message.

PHIDIAS, se levant.

N’avance pas, je vais à toi. Où sont les tablettes dont tu es porteur ?

MÉNON.

Mon message n’est pas écrit.,

PHIDIAS.

Alors qu’as-tu à me dire ?