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AGORACRITE.

Le maître a d’autres soucis.

PÆONIOS

À la bonne heure. Comme tu es son confident, je suis ton exemple, mon cher Agoracrite.

AGORACRITE.

Tu agis en sage. La vie est courte, les joies sont fugitives. Jouissons, pour la dernière fois peut-être, de ce beau rocher, demeure préférée de Minerve, et du spectacle qui s’offre à nous. Il est doux d’écouter la voix du laboureur dans la plaine, le rire des jeunes filles à la fontaine, le bêlement des agneaux qui bondissent sur les bords de l’Ilissus, et le bourdonnement des abeilles qui regagnent le mont Hymette, chargées d’un miel odorant. Il est doux de contempler la vaste mer, les sourires innombrables de ses flots, comme dit le vieil Eschyle, tandis que les montagnes, dorées par le soleil, entourent le golfe d’une couronne brillante. Les flottes attendent la fin de l’hiver et dorment dans les arsenaux du Pirée ; mais la barque du pêcheur bondit sur les vagues, étendant ses voiles couleur de safran. Chère Athènes, où j’avais oublié Paros, ma patrie, faudra-t-il donc te quitter ?

PRAXIAS.

Quelle nécessité te contraindrait à partir ? Si le Parthénon nous est ôté, manquerons-nous pour cela de travaux ? Tant qu’il y aura des Athéniens, l’art sera en honneur ; tant que les mines du Laurium recèleront de l’argent dans leurs veines, les riches nous en donneront la meilleure part.

AGORACRITE.

Phidias s’exilera avec Périclès, et jamais je ne me séparerai de Phidias.

PÆONIOS

Pour moi, je le suivrai jusque chez les Hyperboréens, qu’on dit plongés dans une nuit perpétuelle.

AGORACRITE.

Nous n’irons pas si loin, Pæonios ; mais pourquoi nous attrister ? Que nous habitions Corinthe l’opulente, Syracuse chantée par Pindare, ou l’Ionie dont le ciel conseille la volupté, nous serons chez des Grecs qui nous accueilleront comme le grand roi accueillit Thémistocle. Ils nous fourniront en abondance des marbres pour nos travaux, de l’or pour nos plaisirs. Partout les femmes sont belles et dénouent leur ceinture en l’honneur de Vénus. Partout des vins généreux remplissent les coupes, et les fleurs naissent pour orner le front des convives. Partout la flûte harmonieuse excite à la danse les esclaves lydiennes. Nous aurons deux compagnes qui égaient les chemins les plus arides, la jeunesse et l’espérance.

PRAXIAS.

À ces paroles, je reconnais Agoracrite ; mais dis-moi, toi qui as la vue perçante, n’aperçois-je pas au pied de la colline le manteau jaune de Pasion ?

AGORACRITE.

C’est lui-même. Il gravit, en compagnie d’un étranger, le sentier creusé par les Pélasges.

PRAXIAS

Que nous veut encore ce banquier aux mains rapaces, qui n’a d’athénien que le nom ?