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avec les forts Gonzaga et Castellacio, était en notre pouvoir, ainsi que la route qui va de Messine au Phare, et le Phare lui-même ; mais le Phare était en dehors de la convention : il était incessamment canonné par les vaisseaux napolitains, auxquels répondait victorieusement le feu de ses batteries. Un jour, une frégate sortit du port militaire de Messine, hissa pavillon français, et vint prendre position devant les ouvrages du Phare, comme pour les examiner à loisir. On crut que c’était une des frégates de l’escadre française qui voulait se rendre compte des travaux poursuivis sans relâche pour mettre la très importante position du Phare à l’abri d’un coup de main. Non-seulement on ne prit aucune précaution contre elle, mais nos soldats, jeunes et curieux, accoururent pour mieux voir ses évolutions. Tout à coup elle lâcha sa bordée de bâbord, vira de bout en bout, lâcha sa bordée de tribord, hala bas le pavillon français, arbora les couleurs napolitaines, et s’éloigna à toute vapeur. On reconnut alors la frégate royale il Borbone. Quarante-huit de nos hommes étaient restés morts sur la place, victimes de cet attentat. Le lendemain, un bâtiment marchand français nolisé pour le compte du gouvernement napolitain, parti de Messine et entraîné par les courans, parut, dans ses manœuvres maladroites, vouloir se rapprocher du Phare. Nos artilleurs, dont la défiance et l’exaspération étaient fort excitées depuis l’événement de la veille, envoyèrent quelques boulets au malencontreux navire, qui se hâta de rallier le port. Le commandant jeta les hauts cris, parla du droit des gens violé en sa personne, fit d’autant plus de bruit que ni son bateau, ni son équipage n’avaient été atteints par les projectiles, et alla se plaindre au consul de France, qui, sachant Garibaldi absent, demanda des explications au général Türr, commandant la première division de l’armée méridionale. Je fus chargé par le général d’aller porter des explications au consul ; elles furent faciles à donner, accueillies immédiatement avec une bonne grâce charmante, et mirent fin à un malentendu dont la faute première ne pouvait vraiment pas nous être imputée, à nous, qui avions été si cruellement victimes de la ruse napolitaine.

Malgré la convention que j’ai citée plus haut, les alertes n’étaient point rares ; un espace neutralisé de 20 mètres seulement séparait nos grand’gardes de celles de l’ennemi ; elles échangeaient des coups de fusil pour se distraire. La fusillade se généralisait, gagnant de proche en proche sur toute la ligne ; les feux de peloton succédaient aux feux de file ; des bataillons de renfort arrivaient au pas de course, les balles volaient à travers les ténèbres. Cela durait jusqu’à ce qu’un officier supérieur arrivât, d’un côté ou de l’autre, pour faire cesser la bagarre. On ramassait un ou deux morts et quelques