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qui, par miracle, n’atteignirent personne. Le général Medici, précédé d’un trompette et d’un guide portant pavillon blanc, put enfin pénétrer dans la citadelle ; c’est lui qui avait signé la convention du 28 juin, et c’est à lui qu’il appartenait plus qu’à tout autre d’aller en rappeler les clauses, toujours scrupuleusement observées par nous. Le commandant de la place s’excusa comme il put, déclara qu’il n’avait pas été maître de tempérer l’ardeur de ses soldats, et donna des ordres pour mettre fin à cette violation brutale du pacte conclu. On éteignit en grande hâte une ou deux maisons qui flambaient déjà ; on ramassa deux sentinelles, un vieux portefaix, un petit enfant, trois ânes et un chien qui avaient violemment passé de vie à trépas, et nous allâmes reprendre notre dîner interrompu. Cependant la ville restait troublée, les promeneurs étaient rares, les quais déserts, les visages inquiets : qui garantissait qu’un pareil attentat ne se renouvellerait pas ? On colla sur les murs un distique où il était question de fide punica et de fide borbonica. Il est juste de dire que, quoique terrifiée à bon droit par cette attaque inopinée, la population ne fit point mauvaise contenance ; la garde nationale, marchant en bel ordre, se répandit dans les rues pour mettre obstacle à la panique et empêcher autant que possible l’alarme de trop se propager. Je n’en attendais pas autant du peuple de Messine, qui n’avait guère aidé à la révolution sicilienne qu’en jetant bas quelques statues royales et en grattant des écussons. Ce jour-là, le ciel semblait s’être entendu avec les hommes pour faire fracas, car à peine le bombardement avait-il pris fin qu’un orage, chassé par un coup de vent de sirocco entre les montagnes de la Calabre et celles de la Sicile, vint s’amasser dans le détroit. De larges nuées retentissantes s’amoncelaient au-dessus des côtes calabraises, qu’elles cachaient à nos yeux ; des éclairs ouvraient les profondeurs lumineuses du ciel, et comme pour apprendre aux canons l’inanité de leur bruit, le tonnerre tomba deux fois près de la citadelle. Des torrens d’eau éteignirent les fulgurations de la tempête, et, s’écoulant à travers les rues dallées de la ville, entraînèrent vers la mer ces monceaux d’ordures que l’incurie italienne laisse accumuler devant toutes les portes. Le soir, avant de rentrer au quartier, j’eus la curiosité d’aller jusqu’aux avant-postes. Les quais, ordinairement si peuplés pendant la fraîcheur de la nuit, étaient vides et mornes ; à peine çà et là un passant attardé les traversait en courant ; les cafés, où d’habitude nos bruyans soldats prenaient des glaces en chantant, étaient fermés ; la flamme des réverbères remuée par le vent jetait ses reflets mobiles sur les dalles humides et luisantes ; dans le port, les matelots d’un navire viraient au cabestan et psalmodiaient une de ces traînantes mélopées qui, dans l’obscurité, au-dessus