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un bruit persistant courait, et qui par hasard se trouva être juste : elles étaient parties pour Naples.

Messine était dans une agitation extraordinaire ; nos soldats allaient par les rues, isolément, en groupes, en compagnies, se hâtant vers le port ou vers le Phare, le fusil sur l’épaule, le havre-sac au dos, joyeux, chantant pour la plupart, et fiers des aventures nouvelles qui les attendaient. Les habitans les regardaient passer ; on échangeait un mot : « Que la madone vous conduise ! — Gardez-vous des royaux ! — Bonne chance à ceux qui partent ! — Bonheur à ceux qui restent ! — Où allez-vous ? — À Naples et à Venise. — Vive l’Italie ! — Adieu ! adieu ! »

Un débarquement général se préparait donc ouvertement et allait bientôt s’accomplir, au-lieu de ces petits débarquemens partiels et enveloppés dans la nuit auxquels la prudence de Garibaldi avait été réduite. Ce fut dans un de ces derniers que tomba un homme dont la mort fut un deuil pour l’armée entière. Je parle de Paul de Flotte. Conduisant l’avant-garde du général Cosenz, il s’était jeté en Calabre dans la nuit du 20 au 21 août et avait pris terre sans éprouver de pertes, malgré quelques boulets explosibles que les Napolitains lui envoyèrent. Débarqué entre Scylla et Bagnara, il devait monter vers les hauteurs d’Aspro-Monte et ouvrir ainsi la route par où Cosenz, passant plus tard, put venir prendre position derrière les brigades Melendez et Briganti. La nuit durait encore quand il se mit en marche à la tête des Franco-Anglais, qu’il commandait ce jour-là en qualité de volontaire, car ses fonctions jusque-là avaient été de l’ordre purement maritime ; mais les Arabes ont raison : « Ce n’est pas la balle qui tue, c’est la destinée. » Vers le point du jour, il parvint à une colline qui domine le petit village de Solano et que protégeait un bataillon de Napolitains. De Flotte les fit charger, payant d’exemple ; il tua un ennemi d’un coup de revolver et fit deux prisonniers ; les royaux lâchèrent pied et se réfugièrent en débandade dans le village ; de Flotte les y poursuivit. Près d’une ruelle abritée par une haie de nopals, un Napolitain embusqué lui tira un coup de fusil presque à bout portant ; la balle frappa la tête, brisa l’os temporal et mit la cervelle à nu. De Flotte bégaya quelques mots inintelligibles, tourna sur lui-même et tomba la face contre terre. Quand on accourut à lui et qu’on le releva, il était mort. D’étranges pressentimens l’avaient agité depuis quelques jours. « Je n’ai jamais tué, disait-il, je n’ai même jamais tiré un coup de fusil ; au premier homme que je tuerai, et je ne tuerai qu’en cas de légitime défense, je serai tué ; la réversibilité a des lois fatales. » Ce qu’il avait prédit arriva, il tua, et immédiatement fut tué. Ces mauvais présages, qui lui montraient une mort imminente, ne l’avaient point ralenti ; il possédait la bravoure