Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/426

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

la terre, tous deux les évitent, bien que chaque associé s’ingénie à faire exécuter par l’autre la spécialité de dépenses ou d’efforts qui lui incombe. Le métayage reste donc exclusivement conservateur, grâce à la jalousie et à l’exigence mutuelles des deux intéressés. Lors même qu’il suffirait d’agrandir les bâtimens, de drainer la terre, de multiplier les labours ou d’entreprendre un tout autre travail pour amener dans les résultats financiers de l’œuvre commune une sérieuse augmentation de bénéfices, ni le propriétaire ni le métayer n’ont d’intérêt à consentir une certaine avance qu’autant que la moitié de profit perçue par chacun représente une quotité supérieure à ce que produirait tout autre mode de placement, ce qui est presque toujours impossible. Calculée ainsi, la condition faite par le métayage à celle des deux parties qui consent à un surcroît de charge quelconque, sans que l’autre partie se soumette de son côté à une charge mathématiquement égale, devient trop peu attrayante pour qu’elle soit fréquemment acceptée. Telle est la règle générale. Aussi doit-on signaler à l’attention et à l’étude du public les heureuses exceptions qui se sont quelquefois produites. La plus remarquable que nous connaissions est sans contredit celle que, dans le département de la Loire-Inférieure, présente M. Liazard. Cet habile agriculteur s’installa, en 1851, à Tréguel-en-Guéménée sur un domaine de 260 hectares, porté, par des acquisitions ultérieures, à l’étendue actuelle de 303 hectares. La terre de Tréguel donnait à peine 3,000 francs de rente, en ruinant tous les colons et tous les propriétaires qui se succédaient sur ses landes ingrates. Grâce à son énergie, grâce à son habileté, M. Liazard en retire aujourd’hui 9 ou 10 pour 100 des sommes qu’il a consacrées à l’amélioration ou plutôt à la transformation de ce domaine. Les métayers rebelles au progrès ont été renvoyés ; ceux qui, en 1852, lui payaient seulement 1,392 francs de redevance, gagnent maintenant assez pour lui compter, depuis 1856, une part qui excède 11,000 francs de revenu annuel. Tréguel, qui valait 191,000 francs à l’origine, est aujourd’hui estimé au moins 480,000 francs. On conçoit que ces résultats aient fait décerner à M. Liazard la prime d’honneur de 1859 ; mais on conçoit aussi qu’une situation aussi brillante garde un caractère exceptionnel. De tels succès ne peuvent s’obtenir que sur des terres capables de bien répondre à de très riches avances. Or ce sont précisément ces conditions qui manquent le plus souvent aux pays de métayage. Le Maine et l’Anjou, dont l’état prospère doit être rappelé quand on traite une semblable question, ne présentent pas, malgré tous leurs progrès, d’exemple qui puisse être comparé à celui de M. Liazard.

Il ne faut donc pas s’étonner que, dans les contrées de métayage,