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à nos tentes. On les releva sur les deux heures. À quatre, je repris mon affût jusqu’à nuit close. — Pas la moindre tigresse. La nuit, les langours furent d’une tranquillité parfaite. Aucunes traces d’elle autour de l’étang. Elle ne s’était pas baignée, elle n’avait pas bu. Bon présage pour nous, et triste pour elle !

Cependant dès cette soirée les villageois fugitifs rentraient en chantant et en criant dans le hameau délivré. On m’apporta une lettre de complimens signée du rajah. Les shikarees du pays me promettaient de fouiller toutes les cavernes des environs et de m’envoyer la peau de la tigresse s’ils venaient à la trouver morte, comme aucun n’en voulait douter. Au surplus il fallait partir. Je fis donc mes préparatifs ; mais, avant de me mettre en route, j’allai donner un coup d’œil au bouvillon noir. Les hyènes avaient mis en morceaux ses chairs déjà décomposées : preuve de plus que la tigresse n’était point dans le voisinage. Généralement les animaux de son espèce font le guet autour de la proie inachevée, et de si près que des vautours même sont parfois surpris et tués par l’agile sentinelle. Pour en finir avec ma tigresse, quinze jours après que j’eus quitté Doon-Gurghur, un moolkee ou cavalier de district vint, de la part du rajah, me dire que ses shikarees l’avaient trouvée morte, mais que sa peau était trop endommagée pour qu’il eût osé se permettre de me l’envoyer. Ce pouvait être un mensonge ; mais comment vérifier la chose ?

N’allez pas croire que le tigre, après tout, soit le plus terrible des ennemis auxquels aient affaire nos chasseurs de l’Inde. La panthère (que les natifs appellent taindryah, ou plus correctement borebuchad), bien moins forte, bien moins massive, est tout autrement intrépide. Ne pas confondre cet animal, du genre felis, avec le léopard (cheelal), qui est de l’espèce canine, qu’on apprivoise à peu -près, et qui nous sert, à nous autres shikarees, pour chasser l’antilope dans les pays de plaine. En quelques bonds, il l’a rejointe, eût-elle jusqu’à cent yards d’avance sur lui ; mais il ne faut point lui demander une course de quelque durée. Lui-même se chasse à la lance, comme le wild-hog, mais ce genre de sport exige un terrain favorable et d’excellens chevaux. — La panthère, elle, est d’une intrépidité qui la rend spécialement redoutable, et en deux ou trois occasions elle a failli m’être fatale. Un jour entre autres, le chameau de chasse sur lequel j’étais monté avec Mangkalee reçut la charge d’une de ces hôtesses du jungle, qui le prit au cou et s’y cramponnai désespérément. Elle y était à l’abri de mes balles, et d’ailleurs notre monture épouvantée se démenait de manière à ne pas me laisser d’autre préoccupation que celle de me maintenir sur son dos. Mangkalee, moins tenace cavalier, fut bientôt lancé à terre avec tout son attirail de chasse. De plus, une des cordes à nez qui servent de rênes