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d’accuser des agens du gouvernement, et si le rôle de délateur était à notre convenance, ce n’est point à de flottantes insinuations que nous voudrions recourir. Nous n’avons donc entendu répondre qu’en termes généraux aux accusations générales aussi que M. Dupin avait dirigées au sénat contre la presse. L’honorable sénateur, à propos de la catastrophe d’une maison de banque, reprochait aux journaux de n’avoir point en quelque sorte devancé l’action de la justice, et de n’avoir pas dévoilé au public des opérations qui lui paraissent dangereuses et répréhensibles. M. Dupin assignait ainsi à la presse une mission de tutelle sociale, et il lui reprochait de ne pas l’avoir remplie. Nous étions d’autant plus à l’aise pour répondre à M. Dupin que nous sommes de son avis sur la mission qu’il assigne à la presse, sur l’action bienfaisante qu’il attend d’elle. Nous croyons qu’en des matières où l’intervention du gouvernement est dangereuse ou impossible, la meilleure police préventive qui puisse exister est la liberté des journaux. Seulement, pour remplir ce rôle, pour porter la responsabilité que M. Dupin lui impute, il faut que la presse ait le courage et la puissance que lui donne le sentiment de sa sécurité, il faut qu’elle soit dans le droit commun, il faut qu’elle soit libre. Nous avons donc rappelé à l’illustre procureur-général les diverses entraves qui affaiblissent aujourd’hui les journaux, depuis l’autorisation administrative, sans laquelle aucune feuille ne peut être créée, jusqu’aux pénalités administratives ou judiciaires qui peuvent en amener l’a suppression, et dont la perspective agit sur les propriétaires de journaux comme une intimidation permanente. Enfin nous avons signalé aussi le danger de la pratique des avertissemens officieux. Certes, nous le reconnaissons, les avertissemens officieux partent d’un bon sentiment. C’est pour épargner à un journal les sévérités de la législation actuelle qu’un ministre honnête homme et indulgent peut juger utile de donner à ce journal le conseil de s’abstenir de telle polémique, de ne point toucher à telle question. Cette façon de gouvernement paternel, cet emploi de l’influence ministérielle nous ont cependant toujours paru pleins de périls ; le moindre de ces périls n’est point à nos yeux d’exposer la bonne foi et les intentions loyales d’un ministre aux pièges que pourraient lui tendre, avant qu’ils ne fussent démasqués, des gens tels que ceux dont M. Dupin a flétri les manœuvres. L’honorable sénateur, reconnaissant comme nous les devoirs qui sont imposés à la presse, devrait donc aussi reconnaître que l’inaction qu’il lui reproche est plus imputable à sa faiblesse qu’à sa connivence : s’il la veut vigilante et forte contre les perfidies des intérêts malsains de la spéculation, qu’il se joigne à nous pour obtenir qu’elle soit libre.

Après la discussion à peine ébauchée de la législation de la presse, où l’on a négligé l’argument fourni par la verte attaque de M. Dupin, la question la plus importante qui ait été touchée est la situation financière. Si sur ce point le débat a été écourté, il n’y a pas lieu de s’en plaindre, puisqu’il sera repris avec toute l’ampleur nécessaire dans la discussion du budget. Un résultat a d’ailleurs été obtenu, M. Magne ayant donné à entendre qu’il serait