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d’un ton vrai ; mais on la dirait délavée, blême, éteinte : elle a les pâles couleurs, grâce aux reflets formidables que lui lance son chaleureux voisin. Nous aurions donc tout à gagner en transportant les Syndics de Rembrandt en face de la Ronde de nuit, puisque d’abord pour Karel du Jardin ce serait une résurrection, et que Rembrandt lui-même, dans un plus grand espace, avec plus de reculée, produirait encore plus d’effet. Ajoutez que la Ronde de nuit n’aurait rien à souffrir de ces nouveau-venus : bien qu’éclairés d’une façon plus franche, ils sont de même race, et cet air de famille suffit pour tout harmoniser. Ce qui importe à la Ronde de nuit, c’est d’être délivrée de l’indiscrète vérité, de la clarté désespérante du grand Banquet de van der Helst.

Reste à choisir pour celui-ci une place plus favorable, loin des Rembrandt, dans une salle à part. Peut-être faudra-t-il faire exprès cette salle, et par exemple dans les combles du musée, en prenant la lumière d’en haut, seul mode d’éclairage admissible pour les grands tableaux. Le Trippenhuis, sur ce point, laisse, nous l’avons dit, beaucoup à désirer : on a peine à comprendre que cette ville d’Amsterdam, dont la gloire principale est la gloire de ses peintres, laisse leurs œuvres si mal logées et, pour tout dire, presque invisibles. Le profit serait double à séparer Rembrandt de van der Helst, puisqu’il faudrait, pour l’un des deux, créer une salle nouvelle, et que par occasion on remettrait probablement à neuf tout le second étage du musée. Jusque-là ni la Ronde de nuit ni le Banquet ne seront parfaitement connus.

J’en dis autant d’une autre grande toile, un des joyaux de la Hollande, reléguée maintenant dans la plus triste place, la plus basse, la plus mal éclairée. De même que les Syndics de Rembrandt me semblent seuls capables de faire face à la Ronde de nuit, de même ce second van der Helst serait le vis-à-vis naturel et obligé du célèbre Banquet. Postérieur de neuf ans, il est d’une exécution plus savante et plus parfaite encore ; il a plus de chaleur, le modelé en est plus puissant, la perspective plus profonde, sans que le rendu des détails soit pour cela moins merveilleux. C’est encore un groupe de portraits, et des portraits de syndics, mais des syndics de haut parage, vêtus de velours et de soie, les syndics des arbalétriers. Ils sont plus solennels de pose et de manières que leurs confrères du Staalhof : au lieu de parler tout simplement d’affaires, ils distribuent des prix, les prix du tir de l’arc, et se passent gravement de main en main les pièces d’orfèvrerie destinées aux vainqueurs. Ne reconnaît-on pas, à ce signalement, notre petit diamant du Louvre ? C’est le même sujet, ce sont les mêmes personnages : les variantes sont presque nulles, l’échelle seule diffère du tout au tout ; mais cela seul