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militaire, quoiqu’il n’ait, avant l’expédition de Sicile, jamais fait la guerre qu’en amateur : au Monténégro avec Omer-Pacha, en Crimée avec les Anglais, pendant la campagne d’Italie avec les Piémontais. Son attitude fut telle à la prise de Palerme que Garibaldi le pria de prendre le commandement de la brigade que le général Türr abandonnait momentanément. Garibaldi n’eut qu’à se louer de son choix. Eber (Nandor Ferdinand) n’était cependant à la rigueur qu’un écrivain ; mais tout Hongrois naît hussard. Il est l’un de ces remarquables correspondans que le Times envoie à travers le monde entier : c’est ainsi qu’il a fait les guerres dont je viens de parler et accompli de longs voyages qui l’ont rendu cosmopolite. Entraîné par sa froideur naturelle, il penche vers les mœurs anglaises, et parfois il est sujet à des accès de spleen qui n’ôtent à son caractère aucune de ses douceurs. Sa vaste instruction l’appellera sans doute à jouer un grand rôle dans sa patrie, lorsque les événemens lui permettront d’y rentrer en la délivrant.

On comprendra que j’aie gardé un précieux souvenir de ce voyage dans les Calabres. Rien n’unit les hommes, rien n’adoucit leur caractère, rien ne leur rend la vie commune facile comme la certitude de travailler ensemble à une cause juste où n’intervient nul intérêt personnel. Pendant quatre mois passés dans l’état-major du général Türr, état-major où les élémens italiens, anglais, hongrois et français étaient mêlés dans d’inégales proportions, je n’ai pas assisté à une seule dispute ; je n’ai pas entendu un mot plus vif qu’il n’aurait convenu. S’il y eut quelques duels dans l’armée garibaldienne, ils furent déterminés par des causes personnelles ; l’un de ces duels fut terrible et entraîna la mort d’un homme. Celui qui tomba, frappé pour ne se relever jamais, fut justement puni d’une insulte qui était à la fois une lâcheté et une calomnie.

On m’avait proposé de rester à Marcellinara le temps nécessaire à ma guérison complète et de rejoindre ensuite la brigade en voiture de poste ; mais je ne voulais à aucun prix demeurer en arrière, loin des événemens imprévus qui pouvaient surgir. À une heure du matin, le 1er septembre, je me levai donc au moment où la diane sonnait. Un pied chaussé, l’autre enveloppé de langes, je montai à cheval comme je pus, et nous partîmes. Rien n’est plus doux que de faire étape pendant les nuits d’été ; la fraîcheur passe sur nos membres comme une caresse humide ; on dirait que la poussière des routes est endormie, car elle est plus lourde, plus lente à se soulever, et ne nous enveloppe pas, comme pendant le jour, de ses nuages desséchans. On va plus vite, et si par bonheur la musique se fait entendre, on écoute avec un charme extraordinaire les fanfares qui éclatent dans le silence et vont réveiller dans leur lointaine obscurité les échos qui sommeillent au flanc des montagnes. Malgré