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Caucase occidental, appuyés au sud-est par les Souanes, peuple chrétien de race karthle, maître d’un autre défilé et dans une position très forte sur le Haut-Ingour, où il est encore relégué[1]. Les dominations diverses, chrétiennes ou musulmapes, sous lesquelles ont passé tour à tour les Abasges, ont laissé dans leurs mœurs et leurs croyances une empreinte qui s’est mêlée à leurs primitives et grossières superstitions. Depuis 1810, ils se sont donnés à la Russie, qui leur a laissé leur autonomie et leurs chefs indigènes. Le prince actuel, du nom de Mikhaïl, issu de l’ancienne famille régnante des Schirvaschidzé, a pendant son séjour à Pétersbourg acquis un certain vernis de civilisation ; il a le rang de lieutenant-général dans l’armée russe, et il a gagné ce titre par un dévouement absolu aux maîtres dont il a embrassé la cause et auxquels il a rendu de nombreux services. Il ne faudrait pas jurer cependant que son excellence, comme la plupart de ses confrères de la montagne, conseillers d’état actuels ou conseillers privés, ne conserve in petto quelque goût pour ces habitudes de razzia si chères à tous autrefois.

Dans ce rapide coup d’œil jeté sur les populations du flanc droit, nous n’oublierons point les Ossètes, les Iasses des chroniqueurs russes, à cause de leur ancienne célébrité, et parce qu’un caprice de la philologie moderne, en travail d’expliquer leur origine par des comparaisons plus ou moins hasardées entre leur langue et divers idiomes européens, les a fait sortir de l’obscurité où ils étaient, tombés. La conjecture la plus plausible est qu’ils sont un rameau détaché de cette race finnoise qui a couvert de ses colonies tout le nord de l’Asie et de l’Europe. Dans cette hypothèse, quelques-uns d’entre eux auraient été refoulés dans le Caucase pendant que le gros de la nation s’acheminait vers le Danube et la Thrace, et de là vers la Gaule et la péninsule hispanique. Fixés d’abord dans la Kabarda, sur les branches avancées du Caucase, ils se rendirent redoutables dans les premiers siècles de notre ère. Se frayant une issue à travers le défilé de Dariel, où les rois de Perse avaient construit une forteresse pour les arrêter, ils allaient se jeter sur les plaines fertiles de l’Arménie. Combattus par les princes russes de Tmoutarakan, les khans mongols du Kiptchak, les souverains de Géorgie et les Tartàres de Crimée, inquiétés par les Tcherkesses, ils s’affaiblirent insensiblement et se réfugièrent dans les hautes vallées. La création de la grande route militaire par le général Paul Potemkin les plaça sous la main des Russes. Pour les gagner, on imagina de les convertir au christianisme. Un comité d’ecclésiastiques

  1. La barbarie et la pauvreté des Souanes ont protégé jusqu’ici leur indépendance. Un seul voyageur européen moderne, M. le général de Bartholomeï, s’est hasardé dans leur vallée : il a décrit dans une courte, mais substantielle et savante relation, les restes curieux de l’art géorgien que possède la partie de la Souanéthie qu’il a parcourue.