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fut institué et un couvent fondé dans le district où les eaux du Fiag-Don entrent dans les steppes de la Kabarda. Les travaux apostoliques des bons moines chargés de cette mission se bornaient à enseigner aux Ossètes le signe de la croix et à les baptiser. Comme chaque néophyte recevait en prime, pour sa conversion, douze archines de grosse toile pour se faire des chemises et des culottes, deux poissons secs, et de plus un extrait de baptême qui lui tenait lieu de passeport et de titre de recommandation dans tout le Caucase, leur ferveur fut grande ; ils accouraient par milliers. La quantité de toile distribuée indiquait si bien la mesure de leur zèle, que, tout compte fait, il se trouva que chacun avait dû recevoir six fois le sacrement d’initiation à la nouvelle religion. En 1769, un des ecclésiastiques ayant fait violence à la femme d’un riche indigène, les Ossètes se ruèrent sur le couvent et le détruisirent. En mars 1771, le général de Medem envoya un détachement, qui les châtia ; mais les choses en restèrent là, et le couvent ne fut pas relevé. Les missionnaires russes allèrent s’établir à Mozdok, où une école fut créée pour les Ossètes des environs, et toute tentative de propagande locale fut abandonnée momentanément.

En général, le rôle d’initiative du clergé russe dans l’œuvre de la régénération des montagnards par le christianisme a été faible jusqu’à présent, et bien au-dessous du zèle ardent et convaincu déployé par le clergé catholique dans la prédication de la foi aux nations même les plus barbares et les plus dangereuses, ou de la remuante activité des missionnaires protestans. Cependant il n’a pas été tout à fait nul, et nous avons formulé à cet égard dans une précédente étude un reproche peut-être trop sévère. Bien qu’il fût à peu près impossible d’aller porter la parole évangélique au sein de tribus exaltées par le fanatisme musulman et exaspérées par une lutte implacable, nous devons reconnaître que le clergé orthodoxe n’a point toujours reculé devant ce périlleux apostolat. Vers 1831, les Tchetchenses et les Kistes, témoins des progrès des armes russes, firent mine de vouloir se soumettre et embrasser le christianisme ; ils demandèrent des prêtres. Quelques ecclésiastiques se dévouèrent spontanément et partirent sous la protection d’une escorte de Cosaques. Les Tchetchenses, sortant d’une embuscade, tombèrent sur les Cosaques, les massacrèrent tous, retinrent les missionnaires prisonniers et les emmenèrent dans leurs aoûls.

Depuis que les Ossètes ont été forcés de renoncer au brigandage exercé ouvertement, ils ont appris à donner une autre forme à cette coupable industrie. Ceux qui stationnent tout le long de la grande route centrale, appréciant par leurs rapports avec les étrangers la valeur de l’argent monnayé, se font payer le plus léger service manuel à prix d’or, sans négliger l’occasion de voler ou de