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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/983

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Moore déclare dans sa lettre du 6 août 1860 « que dans toutes les places de la montagne où des massacres ont été commis, il y avait des garnisons de troupes régulières s’élevant de deux cents à six cents hommes avec des pièces de campagne[1]. » Ici ce n’est donc pas le pouvoir qui a manqué aux autorités turques, c’est la volonté. « Il y a un fait remarquable, écrit le 8 août 1860 le major Fraser à lord John Russell, c’est que les seuls points où il y a eu de graves massacrés sont précisément et exclusivement ceux où il y avait des garnisons turques, témoin les horribles tragédies d’Hasbeya, de Rasheya, de Deïr-el-Kamar, de Sidon, de Zahlé, de Damas… Près de Beyrouth même, les villages de Babdab et de Hadad ont été brûlés à trois cents yards (moins de 300 mètres) du camp du pacha (Khourshid) et devant ses yeux, sans qu’il ait essayé de les sauver ; le seul mouvement que firent les troupes turques fut celui des bachi-bozouks, qui coururent piller les chrétiens[2]. » Fuad-Pacha cependant, dira-t-on, a montré de la fermeté à Damas : il a fait exécuter un pacha et plusieurs officiers turcs, pendre cinquante-sept personnes, et le peuple de Damas lui a donné le surnom de père de la corde. Nous examinerons plus tard ce qu’a été la justice turque ; voyons en attendant comment M. Fraser explique cette sévérité de Fuad-Pacha. Au moment où M. Fraser écrit, 16 août 1860, le procès d’Achmet-Pacha est commencé ; mais M. Fraser craint que Fuad-Pacha n’ait pas la fermeté nécessaire pour « suffire aux nécessités de la situation. Tout pas en arrière, dit-il, toute irrésolution de sa part, surtout si cela se rencontrait avec la non-arrivée de l’expédition européenne (nouveau témoignage en faveur de la nécessité de notre expédition), aurait les plus désastreuses conséquences dans le pays[3]. » M. Thouvenel avait donc bien raison de dire à lord Cowley (c’est lord Cowley qui rapporte cette conversation dans sa dépêche du 1er septembre 1860) : « Si les troupes françaises n’avaient pas été envoyées, Fuad-Pacha aurait été sans pouvoir, et c’est seulement leur arrivée qui a fait qu’il a osé donner l’ordre de faire les exécutions de justice qui ont eu lieu[4]. » Le major Fraser est un de ces agens anglais qui sont à la fois très Anglais, mais très humains, qui par conséquent ne laissent point les Turcs respirer, qui les forcent de vouloir, de décider, d’agir. Il presse sans cesse Fuad-Pacha d’être sévère, actif, vigilant ; il lui donne du courage, de la volonté. Avec un de ces agens anglais auprès de chaque pacha, comme il y avait dans les Indes un résident anglais auprès des sultans

  1. Recueil anglais, p. 75, no 88.
  2. Ibid., p. 77, no 91.
  3. Ibid., p. 93, no 106.
  4. Ibid., p. 83, no 100.