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ne joue pas un rôle ; il ne tente rien d’osé, rien d’outré. » Quant à la sincérité, le successeur de M. Droz à l’Académie l’a certainement.

Le mouvement d’opinions qui éclate dans tout ce que pense, dit ou écrit M. de Montalembert se ressent de ce caractère, de cette sincérité véhémente, de ces tendances diverses qui luttent en lui. Liberté, religion, principe des nationalités, droits populaires, tout prend la mesure de sa passion du moment, ou, si l’on veut, de sa foi. il passe sa vie à combattre. C’est un libéral catholique sans doute ou un catholique libéral ; mais entre ces deux instincts, qu’il a la généreuse ambition de concilier, il n’a pas trouvé le lien, et de là vient ce singulier mélange en lui du tribun et du fils des croisés. C’est le secret des contradictions et des inconséquences d’un esprit passionné d’indépendance pour lui-même et n’attachant qu’un sens personnel en quelque sorte à ce mot de liberté, d’un esprit maudissant les traités de 1815 et se révoltant contre les nations qui les brisent, invoquant sans cesse les droits populaires et n’ayant point assez de foudres contre les peuples qui s’affranchissent, d’un esprit enfin glorifiant justement la Pologne pour son héroïsme dans le malheur, pour sa passion d’indépendance, et prodiguant l’anathème à l’Italie émancipée, opposant naïvement Manin à M. de Cavour et se donnant le facile avantage d’être avec les Italiens à Venise pour ne plus être avec eux dans le reste de la péninsule. Qu’ont fait les Italiens cependant, si ce n’est de penser ce que M. de Montalembert lui-même pensait il y a trente ans, quand il écrivait : « Voyez tous ces indignes souverains de l’Italie, d’une politique si profonde, d’une imagination si merveilleusement féconde pour le malheur de l’admirable race dont ils sont les maîtres, qui ont réussi à faire un enfer politique et intellectuel de ce paradis des nations, et qui ont réduit toutes les âmes fières et libres à maudire cette patrie, la plus belle création du ciel, parce que, comme ils disent avec raison, une tombe n’est jamais une patrie ? » Et au fond, en intervenant au-delà des Alpes, en aidant l’Italie à s’émanciper et à rejeter l’Autriche sur l’Adriatique, la France a suivi une politique qu’un sentiment libéral n’a point, ce me semble, à désavouer, même en présence des problèmes qui ont surgi tout à coup. La guerre a pu faire éclater ces problèmes, elle ne les a point créés, et toutes les habiletés, toutes les sagesses n’auraient pu changer une situation que Rossi résumait d’un trait quand il disait : « Le gouvernement temporel du saint-siège ne peut pas ne pas devenir un gouvernement moderne ; il faut qu’il se réforme, ou il sera emporté. »

Ce n’est pas la guerre qui a créé ce problème, épineux sans doute, fait pour émouvoir les consciences catholiques, mais qu’on ne peut éluder désormais : c’est le mouvement des sociétés modernes s’émancipant