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graduellement dans leur vie civile et marchant de plus en plus à la séparation des pouvoirs ; c’est ce principe de liberté universelle que M. de Montalembert a souvent et justement revendiqué pour l’église, sans observer que la première condition de cette liberté de l’église dans l’ordre spirituel, c’est l’indépendance temporelle et civile des peuples. À le considérer de haut, ce qui se passe à Rome n’est que le dernier mot de tout un travail qui se poursuit depuis soixante ans, souvent avec l’aide des catholiques les plus ardens eux-mêmes, qui impose le devoir d’assurer sous d’autres formes la pleine et souveraine indépendance du saint-siège, mais qui ouvre en même temps de nouveaux horizons au catholicisme par la liberté. Et cette idée est si bien entrée dans le monde qu’on a quelque peine à imaginer aujourd’hui la possibilité de reconstituer les états du saint-siège tels qu’ils étaient il y a trois ans encore ; cette possibilité, on le sent, ne serait qu’au prix d’effroyables catastrophes, de guerres terribles. Et si même le pouvoir temporel de l’église se relevait victorieux de ces épreuves, serait-il plus affermi au milieu d’une nation vaincue, mais frémissante et irréconciliablement ennemie ? C’est ce que M. de Montalembert ne voit pas dans ses violentes sorties contre l’Italie et contre tous ceux qui l’ont guidée dans cette transformation. Il s’enferme avec son âpre passion dans la résistance. Il l’écrivait, il y a quelque temps, dans une lettre à M. de Cavour, quand ce grand homme d’état vivait encore et traçait le programme de l’église libre dans l’état libre. « Je prétends que parmi les vrais catholiques, les seuls qui puissent compter, les seuls dont l’adhésion soit une force en matière religieuse, prêtres ou laïques, vous n’aurez personne. » C’est le penchant d’esprit de M. de Montalembert d’être seul catholique, seul libéral, et d’avoir une communion hors de laquelle il n’y a point de salut.

Mais l’erreur la plus singulière de cet ardent esprit dans la guerre qu’il fait à la révolution italienne, c’est d’aller jusqu’en Pologne chercher une alliée, de se faire une arme des malheurs de cette brillante et héroïque race contre une autre race, d’opposer enfin, comme il l’a fait récemment, à une nation qui se relève une nation en deuil. Ce n’est pas l’éloquence qui manque à ces pages, ni le sentiment généreux, ni même ces élans entrecoupés de passion libérale qui sont en quelque sorte l’allure naturelle de l’écrivain. Là toutefois où commence l’illusion de M. de Montalembert, c’est lorsqu’il scinde ce qu’une pensée vraiment libérale réunit, lorsqu’il trace deux camps, mettant d’un côté le droit, la liberté, le malheur, la foi chrétienne, la dignité, et dans l’autre le crime, les attentats de la force, l’iniquité triomphante, et pour tout dire « les fripons et les flibustiers, » puisqu’il aime ces mots. « La cause de la Pologne,