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Si l’on tient pour vraies les difficultés que l’on fait maintenant si grosses, il n’y a plus de reproches à adresser à la Banque de France. À l’égard des circonstances extraordinaires qui agissent sur le marché commercial, la Banque joue un rôle essentiellement passif. Elle doit le crédit au commerce ; mais, pour être en état de remplir cette fonction vitale, son premier devoir est de veiller à son propre crédit. Or le crédit de la Banque, c’est sa solvabilité. Il faut que son billet, dont la circulation fait profiter le commerce d’une économie considérable de capital, puisse à tout moment être converti en numéraire. Il ne manque pas en France, nous ne le savons que trop, d’utopistes assez insensés pour contester le mérite de la convertibilité du billet de banque, et pour demander à chaque crise le bienfait du cours forcé du papier. Ces esprits avancés n’ont pas l’air de savoir que le cours forcé du papier chasse aussitôt le numéraire métallique des pays qui ont recours à cet expédient désespéré. Le métal précieux, n’étant plus retenu en effet comme numéraire pour les besoins de la circulation, puisque la circulation est défrayée par le papier, ne peut plus être employé que comme capital. Comme il est le produit et la forme de capital le plus recherchés, ou bien il va dans le pays s’enfouir dans des thésaurisations particulières, ou il va se placer au dehors dans les pays qui ont conservé la circulation métallique. Il est impossible d’ailleurs, avec une circulation de papier, de contenir le crédit dans ses limites normales ; la spéculation n’a plus son frein naturel. Dans les étals surtout qui ne sont point libres, qui sont enclins au luxe des constructions publiques et aux entreprises militaires, la faculté d’émettre du papier à cours forcé devient la plus trompeuse des ressources et la plus funeste des tentations. Avec les abus du crédit et l’excès des dépenses publiques, la dépréciation atteint bientôt le papier circulant ; on a le change contre soi, et il se trouve qu’en croyant s’être affranchi d’une chaîne par l’abolition de la circulation métallique, on n’a fait que s’imposer une servitude vis-à-vis de l’étranger, et se condamner à payer aux autres peuples commerçans un ruineux tribut. Le cours forcé est la forme sous laquelle se reproduit de nos jours cet expédient de la barbarie du moyen âge qui consistait à altérer les monnaies. Trois exemples contemporains nous montrent où mène l’empirisme de la circulation du papier, lorsque cette circulation n’est plus soumise à la loi de la convertibilité du papier en espèces : ce sont ceux de la Russie, de l’Autriche et de la Turquie. On ne comprend pas que, devant cette triple expérience, que nous avons parlante sous les yeux, il s’élève encore des voix en France pour réclamer la circulation du papier inconvertible.

Mais il ne suffit pas de repousser le cours forcé en théorie ; il faut prendre garde de ne pas s’y laisser acculer par les nécessités que produisent les crises périodiques du commerce ; il faut surtout que les gouvernemens évitent d’aggraver ces crises par l’imprévoyance et le décousu de leur politique financière. Les devoirs : d’un établissement tel que la Banque de France sont à cet égard plus spéciaux et plus étroitement limités qu’on ne se le figure