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généralement dans notre pays. Elle n’est point tenue à la prévoyance lointaine que doit avoir le gouvernement ; elle ne peut pas devancer les faits, elle ne peut agir que lorsqu’elle en subit immédiatement l’influence. Deux élémens lui fournissent sur ce point des indications qu’elle ne peut méconnaître sans danger : ce sont d’une part l’étendue de ses engagemens et de l’autre l’étendue de ses ressources métalliques. Nous comprenons l’effroi qui a saisi la Banque, si ses prévisions sur l’imminence de ses besoins de numéraire sont fondées. Dans l’hypothèse d’un déficit considérable de récolte, aggravé par les appels des emprunts extérieurs et des entreprises étrangères, elle a dû croire que c’étaient des centaines de millions que l’on viendrait en peu de mois puiser dans sa réserve métallique. Or cette incursion sur son encaisse allait se produire à une époque où chaque année le mouvement du commerce intérieur fait sortir de la Banque des sommes importantes en numéraire. De septembre à novembre, à la suite des premières transactions auxquelles les récoltes donnent lieu, l’encaisse de la Banque s’affaiblit tous les ans d’une centaine de millions qui reviennent quelques mois plus tard, à mesure que se consomment les produits des récoltes. L’année dernière, bien qu’il ne fût pas question des causes d’exportation de numéraire dont on parle aujourd’hui, l’encaisse de la Banque entre les mois de septembre et de janvier diminua d’environ 182 millions ; mais en septembre de la même année, l’encaisse était de plus de 500 millions. On pouvait voir décroître de près de 200 millions une si grosse somme sans s’émouvoir outre mesure. Cette année au contraire, l’encaisse était en septembre de 385 millions ; il a décru de 80 millions de septembre à octobre, c’est-à-dire d’une somme qui ne dépasse guère la sortie ordinaire d’espèces qui s’opère habituellement dans cette saison. Les causes extraordinaires d’exportation de numéraire dont la Banque s’attend à éprouver l’influence n’ont donc guère agi jusqu’à présent, et c’est dans les mois qui vont suivre qu’on en devra sentir l’effet. La Banque n’affronte donc qu’avec un encaisse de 300 millions environ ce mouvement de sortie d’espèces qu’elle se représente comme devant être si énorme. Nous craignons qu’on n’ait laissé voir une trop grande terreur ; mais nous comprenons que la Banque ait pris de vigoureuses précautions contre une telle perspective. Elle a temporairement aliéné une portion de ses rentes ; elle s’est vue obligée d’emprunter le concours de plusieurs maisons de banque, qui lui prêtent leurs signatures par des traites fournies sur Londres pour une somme de 50 millions. Jamais la Banque de France n’avait encore rien fait de semblable ; mais si le péril est aussi réel qu’elle a paru le croire, s’il faut en effet solder en espèces, outre les emprunts étrangers, l’achat de quinze millions d’hectolitres de blé, ces expédiens, la chose est à craindre, n’apporteront qu’un soulagement temporaire ; ils seront insuffisans. La Banque, pour se défendre efficacement, devra élever encore le taux de l’escompte et attirer chez nous les capitaux étrangers, en déterminant par le renchérissement du crédit une dépréciation passagère des valeurs de placement françaises.