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dier ; qui diable a pu grimper sur le Falkenstein par ce temps de neige ?

Ils écoutèrent, retenant leur haleine, l’œil fixé sur le rayon de lumière bleuâtre qui descendait d’une étroite fissure au fond de la caverne. Autour de cette fente croissaient quelques broussailles scintillantes de givre ; plus loin, on apercevait la crête d’un vieux mur. Comme ils regardaient ainsi dans le plus profond silence, voilà qu’au pied du mur apparut une grosse tête ébouriffée, le front serré dans un cercle luisant, la face allongée, puis un nez rouge, une barbe rousse en pointe, le tout se découpant en silhouette bizarre sur le ciel blanc de l’hiver,

— C’est le roi de carreau ! fit Marc en riant.

— Oui, c’est Yégof, murmura Hullin d’un ton grave. Pauvre diable ! il vient se promener dans son château les pieds nus sur la glace, et sa couronne de fer-blanc sur la tête ! Tiens, regarde, le voilà qui parle : il donne des ordres à ses chevaliers, à sa cour, en grelottant ; il étend son sceptre au nord et au midi, tout est à lui : il est maître du ciel et de la terre !… Pauvre diable ! rien qu’à le voir avec son caleçon et sa peau de chien râpée sur le dos, j’ai froid le long des reins.

— Oui, Jean-Claude, ça me produit l’effet d’un bourgmestre ou d’un maire de village, qui s’arrondit le ventre comme un bouvreuil et souffle dans ses joues rouges en disant : — Moi, je suis Hans Aden, j’ai dix arpens de beaux prés, j’ai deux maisons, j’ai une vigne, mon verger, mon jardin, hum ! hum ! j’ai ceci, j’ai cela ! — Le lendemain il lui arrive une petite colique, et bonsoir !… Les fous, les fous,… qu’est-ce qui n’est pas fou ?… Allons-nous-en, Hullin, la vue de ce malheureux qui parle au vent et de son corbeau qui chante la famine me font claquer les dents.

Ils entrèrent alors dans le couloir, et l’éclat du jour au sortir des ténèbres faillit éblouir Hullin. Heureusement la haute taille de son camarade, debout devant lui, le préserva du vertige.

— Appuie-toi solidement, dit Marc, imite-moi : la main droite dans le trou, le pied droit en avant sur la marche, un demi-tour ; nous y sommes !

Ils revinrent dans la cuisine, où Hexe-Baizel leur dit que Yégof était dans les ruines du vieux burg.

— Nous le savons, répondit Marc, nous venons de le voir prendre le frais là-haut ; chacun son goût.

Au même instant, le corbeau, planant au-dessus de l’abîme, passa devant la porte en poussant un cri rauque. On entendit les broussailles raidies par la glace secouer leur grésil, et le fou apparut sur la terrasse. Il était tout hagard, et, lançant un coup d’œil vers le