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foyer, il dit : — Marc Divès, tâche de déménager bientôt. Je t’en préviens, je suis las de ce désordre… Les fortifications de mes domaines doivent être libres… Je ne souffrirai pas que la vermine se niche chez moi… Prends tes mesures en conséquence… — Puis, apercevant Jean-Claude, son front se dérida. — Toi ici, Hullin ? dit-il. Serais-tu enfin assez clairvoyant pour accepter les propositions que j’ai daigné te faire ? Sentirais-tu qu’une alliance telle que la mienne est le seul moyen de vous préserver de la destruction totale de votre race ? S’il en est ainsi, je te félicite ; tu montres plus de bon sens que je ne t’en supposais.

Hullin ne put s’empêcher de rire. — Non, Yégof, non, le ciel ne m’a pas encore assez éclairé, dit-il, pour que j’accepte l’honneur que tu veux bien me faire. D’ailleurs Louise n’est pas encore d’âge à se marier.

Le fou leva son sceptre, fronça le sourcil et s’écria : — Donc c’est pour la seconde fois, Hullin, que je te réitère ma demande, et c’est pour la seconde fois que tu oses me refuser ! Maintenant je la renouvellerai encore une fois,… une fois, entends-tu ? Puis, que les destinées s’accomplissent !

Et le fou tourna gravement les talons ; le pas ferme, la tête haute et droite malgré l’extrême rapidité de la pente, il descendit le sentier de la roche. Hullin, Marc Divès et Hexe-Baizel elle-même partirent d’un grand éclat de rire.

— C’est un grand fou, dit Hexe-Baizel.

— Je crois que tu n’as pas tout à fait tort, lui répondit le contrebandier. Ce pauvre Yégof, décidément il perd la tête ; mais il ne s’agit pas de ça : Baizel, écoute-moi bien ; tu vas commencer à fondre des balles de tous les calibres. Moi, je vais me mettre en route pour la Suisse. Dans huit jours au plus tard, le reste de nos munitions sera ici. Donne-moi mes bottes.

Puis, frappant du talon et se liant autour du cou une grosse cravate de laine rouge, il décrocha de la muraille un de ces manteaux vert sombre comme en portent les pâtres, le jeta sur ses épaules, se coiffa d’un vieux feutre râpé, prit un gourdin et s’écria : — N’oublie pas ce que je viens de te dire, vieille,… ou gare ! En route, Jean-Claude !

Hullin le suivit sur la terrasse sans souhaiter le bonjour à Hexe-Baizel, qui de son côté ne daigna pas même s’avancer sur le seuil pour les voir partir. Lorsqu’ils furent à la base du rocher, Marc Divès, s’arrêtant, dit : — Tu vas dans les villages de la montagne, n’est-ce pas, Hullin ?

— Oui, c’est la première chose à faire : il faut que je prévienne les bûcherons, les charbonniers, les flotteurs, de ce qui se passe.