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mains, comme disent les Anglais, occupées dans les manufactures de papier de la Grande-Bretagne et de l’Irlande. La question du papier est même devenue, depuis quelques années, une grave question politique. Elle a été envisagée à tous les points de vue par les économistes, les négocians et les moralistes du royaume-uni. L’affranchissement du droit sur le papier n’a-t-il point eu dernièrement l’honneur périlleux de diviser la chambre des lords et la chambre des communes, d’agiter le pays par des meetings et d’emporter d’assaut, grâce à la force de l’opinion publique, la résistance des conservateurs ? À ceux qui proposaient de dégrever les objets de première nécessité, tels que le sucre et le thé, la nation anglaise a répondu : « Donnez-nous d’abord le papier à bon marché, » préférant ainsi les besoins de la vie intellectuelle à ceux même de la nourriture. Voilà bien assez de motifs, il me semble, pour accorder dans cette série d’études[1] une place à la fabrication du papier anglais.

L’industrie du paper making est pourtant, qui le croirait ? une industrie récente dans la Grande-Bretagne. Il suffira, pour le montrer, de tracer en peu de mots l’histoire de l’invention du papier et d’indiquer le moment où l’Angleterre a introduit chez elle une branche de travail qui porte aujourd’hui de si beaux fruits. En 1755 et 1763, la Société royale des sciences établie à Gœttingue offrit des prix considérables pour éclairer par des recherches l’origine très obscure de cette découverte : ses efforts furent couronnés de peu de succès. Selon les archéologues anglais, le papier doit son origine aux Chinois. De la Chine, où il est connu depuis deux mille ans et où il se fabriquait avec la substance du bambou, du mûrier et quelquefois du coton, il passa, dit-on, dans la Perse, et de la Perse dans l’Arabie. Il est assez difficile de suivre le cours de ces industries voyageuses qui ont traversé le monde, comme la graine semée par le vent. On peut néanmoins fixer deux points de départ d’où l’art de faire le papier a trouvé le chemin du cœur de l’Europe, — Constantinople et l’Espagne. De Constantinople, où il avait été transplanté par la main des Grecs, cet art s’est répandu en Italie par la voie de Venise, et plus tard en Allemagne. D’Espagne, où il avait été introduit par les Maures, il s’est propagé en France.

Dans cette question des origines, il ne faut d’ailleurs point confondre l’usage du papier avec la fabrication. L’usage du papier en Europe est très ancien. Selon quelques érudits, il existe en Italie des manuscrits sur papier de coton qui remonteraient aussi haut que le VIIIe siècle ; suivant d’autres, le seul manuscrit authentique sur

  1. Voyez les livraisons du 15 septembre 1857, 15 février, 15 juin, 15 novembre 1858, 1er mars, 1er septembre et 15 décembre 1859, 15 avril, 15 septembre, 15 octobre et 1er décembre 1860, 1er mai et 15 juin 1861.