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Quand nous sortîmes de la fabrique, la cloche sonnait le dîner. Trois cents ouvriers, hommes, femmes, enfans, s’échappèrent, ainsi qu’une bande d’oiseaux joyeux. Comme j’étais avec un Anglais et une Anglaise, le bruit se répandit qu’une société de bienfaisance avait envoyé une commission pour faire une enquête sur le sort de la classe des travailleurs employés dans les fabriques de papier. Nous profitâmes d’une erreur à laquelle nous étions fort étrangers pour visiter quelques cottages d’ouvrières. Ces cottages, surtout ceux des cueilleuses et coupeuses de chiffons (rag pickers and cutters), sont presque tous situés dans les rues les plus pauvres de Dartford. Ils se distinguent par un caractère d’uniformité et en quelque sorte par un air de famille. Ce sont de petites maisons plus ou moins vieilles, avec un rez-de-chaussée et un étage, qui se composent au plus de trois chambres. Les ouvrières prenaient au rez-de-chaussée un frugal repas quelquefois seules, le plus souvent avec leur mère. L’intérieur de ces habitations était assez dégarni, mais en général propre et bien tenu. Les coupeuses de chiffons que j’interrogeai ne se plaignaient point de leur état ; elles déclaraient pourtant qu’elles étaient très fatiguées de se tenir debout toute la journée : cela leur faisait mal aux jambes et à la tête. Ce qui les incommodait encore plus, disaient-elles, dans les ateliers était la poussière ; elles exprimaient surtout leurs griefs contre le chiffon de Londres, qu’elles reconnaissent tout de suite à la malpropreté. On ouvre bien les portes et les fenêtres, mais un ouragan de mars soufflant avec violence ne suffirait point à dissiper le nuage ou le tourbillon qui est dans la chambre ; cette ventilation produit d’ailleurs un courant d’air qui n’est point sans danger pour la santé. La poussière irrite la poitrine et fait quelquefois tousser. Dois-je néanmoins ajouter que ces jeunes filles sont en général fortes, fraîches et bien portantes ? Elles ont deux avantages pour réagir contre les conditions malsaines de leur industrie, leur jeunesse d’abord et la campagne. Il ne faut point perdre de vue que les fabriques de papier sont presque toutes placées au bord des rivières, dans des endroits abrités et salubres, au milieu de ce que la nature a de plus agréable chez nos voisins, car l’eau, la sombre verdure, les chemins creux et tapissés d’herbe forment les traits exquis d’un paysage anglais. L’éducation de ces ouvrières ne s’étend guère au-delà de celle qui est distribuée gratuitement par les sunday schools ; dans ces écoles du dimanche, elles ont appris à lire la Bible. Les jeunes garçons employés dans les moulins à papier se distinguent par une bonne condition physique. Leur teint est moins basané que celui des enfans de leur âge qui travaillent à la terre ; mais leurs joues se montrent plus riches en couleurs éclatantes et sanguines. Leur instruction, comme celle des filles, est très négligée. Quelques propriétaires de fabriques de pa-