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pier ont témoigné dans ces derniers temps une certaine sollicitude pour le développement moral des adolescens employés dans les travaux ; deux ou trois d’entre eux, à ma connaissance, ont même attaché une école à la manufacture. D’où est venu l’obstacle ? De la part des ouvriers. Si l’aîné des enfans est une fille, on la laisse volontiers à la maison pour garder les autres enfans, pendant que le père et la mère vont travailler à la fabrique depuis six ou sept heures du matin jusqu’à sept ou huit heures du soir. Si c’est un garçon, on tient à ce qu’il rapporte le samedi entre les mains de ses parens le gain entier de la semaine, plutôt que d’aller perdre son temps sur les livres. Il y a pourtant des progrès sous ce rapport dans la manière de voir des ouvriers : quelques-uns d’entre eux commencent à ne plus considérer l’éducation de leurs enfans comme un hors-d’œuvre, et s’imposent même des sacrifices pour leur apprendre à lire et à écrire. L’intérieur des maisons est aussi moins négligé qu’autrefois. Il y a une vingtaine d’années, trois enquêtes eurent lieu dans une semaine sur la mort de trois enfans, dont deux avaient été brûlés et dont l’autre s’était noyé pendant que les parens travaillaient dans un moulin à papier. Dieu merci, on trouverait aujourd’hui peu d’exemples en Angleterre d’un pareil abandon ni d’une telle imprévoyance. Les ouvriers adultes de Dartford employés dans les paper mills se montrent en général très satisfaits de leur condition : ils se plaignent seulement des longues veilles, car on devine bien que les machines à vapeur ne se reposent ni jour ni nuit. Les hommes tombent quelquefois de sommeil quand vient leur tour de passer la nuit dans les ateliers ; mais ils en sont quittes pour se frotter les yeux avec de l’eau. Le lendemain, quelques heures de repos pendant le jour et souvent une bonne promenade sur le bord de la rivière, où souffle une brise fraîche, dissipe bientôt le mal de tête.

Dans un autre voyage que je fis à travers le Buckshire pour visiter les moulins à papier, j’appris qu’une des ouvrières avait eu (c’est le terme dont on se servit) des aventures romanesques. Nous la trouvâmes dans une chambre où elle était en train de prendre son thé ; elle était habillée de noir, et nous raconta son histoire, après quelques instans d’hésitation et en rougissant. Elle appartenait, disait-elle, à une famille respectable, qui se livrait à l’agriculture dans l’ouest de l’Angleterre. Ayant été trompée par un jeune homme à l’âge de dix-sept ans et ayant ainsi perdu son caractère (expression tout anglaise), elle avait été contrainte de quitter son village natal. Ne sachant que faire pour vivre, elle s’était mise à trier et à couper du chiffon. C’était un métier sale, pénible, et qui lui répugnait beaucoup, surtout dans les commencemens. Les autres ouvrières d’ailleurs se moquaient d’elle, parce qu’elle était toujours