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Dans une société libre et décentralisée comme celle de l’Angleterre, les infiniment petits ont une valeur tout aussi bien que les infiniment grands, et aspirent à être représentés. Ces journaux pygmées ne nuisent d’ailleurs en rien aux grands journaux politiques, et pas un d’eux n’arrachera jamais une pierre à l’imposant édifice du Times. La publicité sous toutes les formes est un des besoins de la société anglaise. J’ai entendu dire dans d’autres contrées, en parlant de tel ou tel homme qui avait été la victime des événemens : « Mais aussi pourquoi s’est-il occupé de politique ? » C’est un reproche qu’on ne ferait point en Angleterre, où tout le monde a le droit et le devoir de s’intéresser aux affaires du pays.

À propos du paper duty, le papier à écrire a été considéré, de son côté, dans ses rapport avec l’éducation des enfans et les relations commerciales. Il donne lieu en outre à plusieurs industries. Je n’en signalerai qu’une, celle qui consiste à fabriquer des enveloppes de lettres. Pour se faire une idée de l’importance de cette branche secondaire de travail, il faut savoir qu’en Angleterre, tout le monde, depuis le plus riche jusqu’au plus pauvre, se sert, pour l’envoi des lettres, d’un procédé qui passait autrefois pour un signe de luxe et d’aristocratie. Les enveloppes se faisaient d’abord à la main ; aujourd’hui elles sortent par millions de diverses machines, dont la plus parfaite est celle inventée par M. J. Gathercole. J’ai vu fonctionner cette dernière dans l’une des grandes papeteries de Londres, où elle était gouvernée par deux jeunes filles. L’une d’entre elles avait pour devoir de nourrir la machine, cela veut dire d’y glisser des feuilles de papier blanc d’une forme et d’une grandeur convenues. La mécanique faisait tout le reste : elle relevait les coins du papier, les pliait, les gommait, estampait l’enveloppe, la séchait au moyen d’une pompe à air, et quand tout le travail se trouvait achevé, la transmettait à l’autre ouvrière, qui recueillait une à une ces couvertures de lettres et les arrangeait en paquets. On m’a dit que cette machine fabriquait en moyenne soixante enveloppes par minute, mais qu’entre des mains très habiles elle pouvait élever ce chiffre jusqu’à quatre-vingt-dix ou cent. Je n’en finirais point, si je disais tous les usages auxquels les Anglais ont appliqué le papier dans ces derniers temps : ils en ont fait des cols de chemise, des manchettes, des gilets, des chapeaux d’homme et de femme. On m’a montré dans Regent street une robe en papier, qui, pour la fraîcheur, l’élégance et l’éclat lustré, ne le cédait en rien aux robes de bal les plus dispendieuses. Non contens de donner le papier comme un substitut de la toile, du coton, de la soie, de la dentelle, et de le découper en riches broderies, en orgueilleuses guipures, des fabricans enthousiastes déjà le destinent à bien d’autres fortunes industrielles.