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tersection des routes, par la gauche : d’où la conséquence irrésistible que les deux débouchés devaient être occupés simultanément, pour que les manœuvres de l’armée française eussent une base solide. C’est la seule chose qu’ait pu accepter la raison de Napoléon. Par là s’ouvre un nouveau moyen de pénétrer dans le secret de la conférence de nuit entre Napoléon et le maréchal Ney. Pour savoir si l’ordre a été donné à celui-ci de pousser jusqu’aux Quatre-Bras, il suffit de savoir si l’ordre a été donné à la droite de pousser jusqu’à Sombref.

Or la question ainsi transformée se trouve résolue. Il suffit pour cela de citer la déclaration suivante, qui a échappé, je ne sais comment, aux yeux si clairvoyans du général Jomini. Voici cette réponse : « Le 15 au soir, l’armée ne resta pas à Charleroi, il était impossible d’occuper Sombref. L’intention de Napoléon était que son avant-garde occupât Fleurus, en cachant ses troupes derrière les bois, près de cette ville. Il se fût bien gardé d’occuper Sombref ; cela seul eût fait manquer toutes ses manœuvres. » Qui dit cela ? Napoléon. Et remarquez qu’il ne s’agit pas seulement d’un fait, d’un détail qui peut être aisément oublié ou confondu avec d’autres ; il s’agit de la clé même des opérations de l’empereur. Cela seul eût fait manquer toutes ses combinaisons. Quel doute peut rester encore ? Les historiens militaires réduisaient la question à savoir quelle avait été l’intention de Napoléon sur Sombref. Lui-même fait la réponse ; il dit ce que lui seul peut savoir, son projet, ses intentions, ses vues réfléchies à cet égard.

Il est donc permis de dire que le problème des Quatre-Bras[1], tel qu’il a été posé par les principaux historiens de cette campagne, est résolu avec une évidence géométrique, puisque ayant établi une simultanéité nécessaire entre l’occupation de ces deux points, Sombref et les Quatre-Bras, et Napoléon déclarant lui-même qu’il n’a pas voulu occuper le premier, par là s’évanouit la supposition imaginaire et fausse qu’il a voulu occuper le second. En s’aventurant jusqu’à ce point dans la soirée du 15 ou dans la nuit, le maréchal Ney n’aurait eu aucune raison de se croire soutenu par la droite dans un mouvement analogue. S’il l’eût fait, on l’eût accusé de témérité, et non sans motif ; la simultanéité dans les deux opérations était si conforme aux plans de Napoléon que, dès le premier ordre où il porte la gauche aux Quatre-Bras, il est en même temps question de porter la droite à Sombref et réciproquement. La raison stratégique se joint ainsi à l’évidence des documens, et l’on voit comment, par leur méthode excellente, les historiens militaires qui méritent ce nom ont un moyen pour ainsi dire certain de faire

  1. Il ne s’agit toujours ici que du 15 juin et de la nuit du 15 au 16.