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la vie végétative, l’âme de la bête contient, avec celle de la plante, des forces d’une espèce nouvelle ; l’âme de l’homme renferme à la fois l’âme de la plante, l’âme de la bête, et une âme douée des plus hautes facultés intellectuelles. Je ne veux pas attacher plus d’importance qu’il ne faut à ces mots : âme de la plante, âme de la bête, » si peu susceptibles d’une définition rigoureuse. Ce qu’il importe seulement de bien comprendre, c’est qu’il y a dans les forces auxquelles est soumis notre être une hiérarchie ordonnée. Stahl et les animistes vont trop loin quand ils placent les manifestations de l’âme, qui sont accompagnées de conscience, sur le même rang que la force organisatrice qui se manifeste d’après une nécessité aveugle. Les premières nous caractérisent comme individus et nous distinguent de tout le reste de la création, la seconde ne nous appartient pas en propre, et n’agit en nous que comme elle agit autour de nous. « La conscience, dit Müller, manque aux végétaux avec le système nerveux, et cependant il y a chez eux une force d’organisation agissant d’après le prototype de chaque plante. » La conscience, qui ne donne lieu à aucun produit organique et ne forme que des idées, est un résultat tardif du développement lui-même, et elle est liée à un organe dont son intégrité dépend, tandis que le premier mobile de toute organisation harmonique continue d’agir jusque sur le monstre privé d’encéphale. L’âme, en tant qu’elle n’est que la force d’organisation, se manifestant d’après des lois rationnelles, doit donc être soigneusement distinguée de l’âme qui crée les idées avec intention et conscience. Cette simple distinction n’est même pas suffisante : la psychologie ne fera vraiment de progrès qu’autant qu’elle s’efforcera de faire une analyse complète de l’âme, comme les chimistes ont fait l’analyse de la matière. Il reste à démêler dans l’homme la part de l’âme libre et consciente et la part de l’espèce, car nous ne sommes pas seulement des agens individuels, nous faisons partie d’une vaste collection d’êtres formés sur un même type, notre histoire se mêle à leur histoire, nous héritons du passé de l’humanité, et nous transmettons notre legs à l’avenir. Outre l’individu, outre l’homme, il y a en nous la bête, le végétal, et, au-dessous de tout cela encore, l’être déjà soustrait à l’inertie physique, mais encore sans forme et indéterminé.

Une pareille analyse a de quoi tenter les philosophes autant que les physiologistes : les forces qui tiennent notre être en suspens sont sans cesse en lutte ; c’est à ce point de vue qu’il faut étudier les étranges phénomènes du sommeil, de la folie, de la monomanie, de la mort elle-même. Dans chacune de ces phases, l’équilibre est différent. Dans l’état de sommeil, nous ne vivons plus en quelque sorte que de la vie végétative, et peut-être encore de la vie de l’espèce,