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lité, c’est la géographie militaire qui dictera toujours les conditions qui devront mettre fin à la lutte. Au point donc où en est maintenant en Europe la question des nationalités, nous croyons que la France peut exercer une influence décisive sur le choix de la solution qui prévaudra. Il dépend d’elle peut-être de faire dominer l’esprit de transaction, ou de laisser aller les choses à ces extrémités où le recours à la violence devient inévitable. Or, pour exercer l’action bienfaisante pour les autres, bienfaisante pour elle-même, que nous lui attribuons, la France n’a point à s’immiscer dans les querelles des peuples ou à exciter les ombrages des gouvernemens étrangers : il lui suffira d’agir sur elle-même pour agir sur les autres. Si l’état de choses actuel dure indéfiniment, si la France peut demeurer suspecte d’avoir une politique secrète, si la défiance et la manie des armemens continuent à dominer les gouvernemens européens, il ne nous semble pas probable que le grand débat des nationalités se calme : il tendra de jour en jour à devenir plus irritant. Comment en serait-il autrement ? La crainte et l’espoir de voir éclater une conflagration générale encourageront à la fois à l’obstination les gouvernemens et les peuples. Les gouvernemens craindront de faire des sacrifices funestes aux conditions vitales de leur existence ; les peuples, espérant tout obtenir d’une perturbation européenne, ne voudront rien relâcher de leurs exigences. La perspective est plus douloureuse encore, si l’on songe que les gouvernemens accusés de faire violence aux nationalités qui se plaignent ne seront point seuls dans cette lutte, qu’ils y seront soutenus, eux aussi, par les prétentions et la fierté des nations dominantes qu’ils représentent, et que tout peut finir par des guerres de races. Que l’on réfléchisse à l’autre hypothèse. Supposez que les gouvernemens menacés fussent guéris de la crainte d’avoir à soutenir une guerre européenne, crainte qui seule peut justifier leurs armemens et leurs résistances aux vœux légitimes des nationalités ; supposez que celles-ci dussent renoncer à se servir, comme d’une arme, de cette propre crainte de leurs gouvernemens : la voie des transactions, demeurant seule ouverte, serait bientôt parcourue, et les adversaires y pourraient trouver des positions profitables pour le présent et fécondes pour l’avenir. La liberté franchement introduite dans les institutions intérieures de la France, le couronnement promis de l’édifice véritablement accompli, seraient la pacification efficace et immédiate de l’Europe.

On nous trouve peut-être chimériques ; mais s’il est vrai qu’il importe que le monde sorte le plus tôt possible des incertitudes, des obscurités, des anxiétés où il s’énerve, qu’on veuille bien nous indiquer une diversion plus puissante et plus salutaire que celle que nous appelons de nos vœux. En tout cas, notre chimère n’offense point la gloire extérieure de la France, puisque c’est d’elle-même, d’un acte de son initiative, que nous attendons le coup de théâtre qui pourrait rendre à tous une sécurité durable. Elle ne blesse pas davantage nos intérêts intérieurs : que demandons-nous à notre pays ? De pratiquer la charité bien ordonnée, celle qui commence par soi-