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même, convaincus que le plus grand service que la France puisse rendre aujourd’hui aux autres peuples, c’est de se restituer à elle-même les plus larges libertés politiques.

On dit que le pays est devenu indifférent aux libertés publiques. En est-on bien sûr ? Il serait difficile d’affirmer quoi que ce soit sur la pensée intime du pays en matière de libertés, alors qu’on ne possède pas complétement la liberté essentielle, celle qui unit d’un lien collectif toutes les autres, celle qui en est la réalisation la plus complète, puisqu’elle leur donne le mouvement et la parole, la liberté de la presse. Quelle que soit au surplus l’action de la pensée libérale sur la France, il faut bien que l’idée et le mot de liberté aient conservé chez nous une grande puissance, puisque des orateurs très peu prodigues d’encouragemens libéraux les ont sans cesse à la bouche, semblables à ces prophètes de l’ancienne loi que Dieu contraignait à prononcer malgré eux des paroles dont apparemment ils ne comprenaient ou ne goûtaient pas toujours le sens. Que sont les harangues prononcées par MM. de Morny et de La Guéronnière à l’ouverture de leurs conseils-généraux, sinon des discours sur la liberté ? Malgré l’incorrection de leurs doctrines, qu’il nous soit permis de les remercier, puisqu’ils rendent au moins à la liberté le service d’en ramener le beau nom dans la controverse. Aussi ne voulons-nous point traiter avec sévérité la méprise qu’a commise M. de Morny en déclarant les libertés octroyées préférables aux libertés contractuelles, et en rangeant parmi les libertés d’octroi les développemens donnés par le décret du 24 novembre à la publicité des discussions du sénat et du corps législatif. M. de Morny, malgré tout son esprit, manque peut-être un peu d’esprit philosophique : la distinction qui existe entre le fait et le droit a échappé à sa sagacité d’homme pratique. On lui a reproché trop durement son mot de libertés octroyées, expression malheureuse en effet qui eût été mieux à sa place dans la bouche de M. Ravez, le président in the blue ribbon des chambres des députés de Louis XVIII et de Charles X. C’est à l’idée surtout qu’il fallait s’en prendre. Le régime actuel est sorti d’un plébiscite. L’empereur a fait la constitution en vertu d’une délégation de la souveraineté populaire. Il règne par la volonté du peuple. L’empire est une monarchie consentie. Il n’est pas admissible que le fondé de pouvoirs octroie à son mandant les pouvoirs qu’il a reçus de lui. Les principes de 89 sont une des conditions du contrat, et toutes les libertés politiques, même celles dont la jouissance est momentanément interrompue pour nous, sont comprises dans les principes de 89. L’empereur a fait de l’achèvement promis de ces libertés l’objet d’une métaphore fameuse qui consacre nos droits en soutenant nos patientes espérances. En fait de libertés, quelles que puissent être les apparences au point de vue pratique, il peut y avoir revendication, restitution, reprise : il ne saurait en France être question d’octroi. Voilà pour la cause libérale française, sous l’empire de la constitution actuelle, le point de droit que M. de Morny, trahi par sa pensée, a semblé méconnaître : inadvertance sans importance, dont il ne