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Qui a inventé cette politique de la France en Orient? Est-ce le premier empire ou la restauration? Est-ce la monarchie de 1830, ou la république de 1848, ou l’empire de 1851? C’est tout le monde, et ce n’est personne; ce sont les événemens et l’expérience qui ont créé cette politique française. M. Guizot a expliqué cette politique à la tribune de la chambre des députés le 2 juillet 1839. Il n’était pas ministre alors, et il était par conséquent d’autant plus libre dans son langage. « Regardez bien à tout ce qui s’est passé depuis trente ans en Orient et dans les domaines de l’empire ottoman : vous reconnaîtrez partout le même fait; vous verrez cet empire se démembrer naturellement sur tel ou tel point, non au profit de telle ou telle des grandes puissances européennes, mais pour commencer, pour tenter du moins la formation de quelque souveraineté nouvelle et indépendante. Personne en Europe n’a voulu souffrir que la conquête donnât à telle ou telle des anciennes puissances de tels agrandissemens. C’est là la vraie cause du cours qu’a pris la désorganisation progressive de l’empire ottoman, et c’est à ces conditions et dans ces limites que la France s’y est prêtée. Maintenir l’empire ottoman pour maintenir l’équilibre européen, et quand, par la force des choses, par le cours naturel des faits, quelque démembrement s’opère, quelque province se détache de cet empire en décadence, favoriser la transformation de cette province en une souveraineté nouvelle et indépendante qui prenne place dans la famille des états et qui serve un jour au nouvel équilibre européen, à l’équilibre destiné à remplacer celui dont les anciens élémens ne subsisteraient plus, voilà la politique qui convient à la France, à laquelle elle a été naturellement conduite, et dans laquelle elle fera bien, je crois, de persévérer[1]. »

Lorsque M. Guizot, en 1839, expliquait ainsi la politique de la France dans la question d’Orient, il s’agissait alors de la Syrie, comme aujourd’hui. Cette province venait d’être conquise par le vice-roi d’Egypte sur la Porte-Ottomane, et il fallait décider s’il la garderait à titre héréditaire et l’incorporerait dans sa vice-royauté, ou s’il la rendrait à la Porte-Ottomane par le traité que l’Europe essayait de ménager entre les deux parties belligérantes.

La France avait-elle tort ou raison de vouloir que Méhémet-Ali gardât la Syrie et l’Egypte? Vieille question qu’il n’est pas à propos de traiter en ce moment. Sur ce point, je dirai seulement deux choses : la première, c’est qu’en aidant à l’incorporation de la Syrie avec l’Egypte, la France aidait à une de ces régénérations partielles de l’Orient qui doivent amener sa régénération générale et sa rentrée efficace dans l’équilibre européen; la seconde chose à dire, c’est qu’en

  1. Mémoires de M. Guizot, t. IV, p. 330 et 331.