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j’aime surtout dans l’intervention européenne, c’est que c’est un grand précédent, et que, comme le dit lord John Russell, si la Porte, par jalousie contre ses propres fonctionnaires, ne sait pas gouverner la Syrie, et si elle laisse recommencer les désordres, les puissances européennes prendront les pouvoirs que la Porte n’aurait pas voulu confier à ses serviteurs. Voilà les bons côtés de l’intervention.

Quant au règlement actuel, son bon côté c’est d’avoir été délibéré et rédigé entre la Porte et les puissances européennes, et d’être par là un acte international; c’est à peu près le seul, car ce règlement laisse la Syrie morcelée et faible contre tous les maux qui l’assaillent; il détruit la quasi indépendance des Maronites et des Druses et ne substitue pas à cette indépendance un pouvoir fort et juste; il crée un emploi de plus pour les bureaux de Constantinople, seulement ce sont les employés chrétiens qui en profiteront. Si cela dure et si l’empire ottoman continue, c’est peut-être un nouveau Fanar qui commence à vivre .

Le règlement du 9 juin 1861 n’assurera pas la tranquillité du Liban et de la Syrie, je le crains du moins. Fuad-Pacha, quoique investi de pouvoirs extraordinaires, disait, dans la séance de la commission internationale du 29 janvier 1861, « qu’il pouvait répondre de la tranquillité dans les villes, mais que dans les campagnes, qui sont hors de sa portée et où il n’a pas les moyens d’action suffisans, il lui est impossible de maintenir dans l’ordre des populations qui ne reconnaissent aucune loi et n’ont jamais été qu’à moitié soumises[1]. » Que feront des gouverneurs divisés et jaloux probablement l’un de l’autre? « Avec le projet de règlement de la Porte, disait, lord Dufferin le 12 février (et c’est ce projet de règlement qui a été adopté), l’émigration des chrétiens de Damas continuera, et rien ne pourra décider ceux qui ont quitté cette ville à y retourner. Il y aura probablement le même mouvement à Beyrouth, et on peut s’attendre à une émigration générale du pays de la part de tous ceux qui auront de quoi partir. Il est possible que les musulmans de la province regardent ce résultat comme un triomphe, et que les Turcs le considèrent avec indifférence; mais ceux qui souhaitaient à leurs travaux un dénoûment plus satisfaisant ne peuvent qu’en ressentir un désappointement pénible[2]. »

Les paroles de Fuad-Pacha et de lord Dufferin, voilà sous quels augures s’ouvre pour la Syrie l’ère du règlement de 1861.


SAINT-MARC GIRARDIN.

  1. Documens anglais, p. 479, n° 372.
  2. Ibid., p. 433, n° 347.