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Lord John Russell à sir Henri Bulwer, 15 mars 1861.

« Dans votre dépêche du 17 juillet dernier (1860), vous dites, en parlant de l’organisation de la Syrie : « Il me paraît que les gouvernemens indépendans qui existent dans la montagne (les deux caïmacamies maronite et druse) sont incompatibles avec l’ordre social; il ne doit y avoir qu’un seul gouvernement en Syrie, et ce gouvernement doit être amélioré. » Lord Dufferin, après avoir acquis l’expérience de la Syrie, est arrivé à la conclusion que la sagacité de votre excellence avait déterminée d’avance. La jalousie de la Porte-Ottomane ayant décidé le sultan à s’opposer à toute intervention de la commission internationale en ce qui concerne la Syrie, j’avertis lord Dufferin de restreindre au Liban les propositions qu’il ferait à la commission; mais chaque jour confirme la justesse du jugement primitif de votre excellence, et la dépêche de lord Dufferin en date du 12 février dernier fait ressortir avec une clarté frappante les motifs de ce jugement[1]. Vous tâcherez de démontrer à Aali-Pacha que la jalousie du sultan envers ses propres serviteurs est poussée trop loin, que dans l’état actuel de l’empire turc la vraie sagesse est de choisir des gouverneurs capables et honnêtes pour les provinces, et de les investir de grands pouvoirs dans un esprit de généreuse confiance. Si la responsabilité du gouvernement difficile de la Syrie est partagée en morceaux, et si les emplois y sont rendus précaires à dessein, il n’y a pas de bon gouvernement possible avec cette politique mesquine ; les désordres recommenceront, et le sultan verra alors, mais trop tard, qu’il sera obligé de donner à des princes et à des états étrangers les pouvoirs qu’il aura refusés à ses propres serviteurs[2]. »

Cette lettre n’est pas seulement, selon nous, une réprimande et une menace, c’est une prophétie que l’avenir accomplira.

J’ai achevé l’examen que je voulais faire des documens anglais, et j’ai tâché de montrer quel était et quel serait l’état de la Syrie. Cet état est douloureux; l’intervention de l’Europe aura-t-elle amélioré la condition de cette province, et particulièrement celle des chrétiens d’Orient? Je suis convaincu que cette intervention a eu un bon effet au lendemain des massacres : elle a lié l’Occident à l’Orient par le témoignage d’une grande et active sympathie; mais ce que

  1. Dans cette lettre du 12 février 1860, lord Dufferin explique avec beaucoup de vivacité et de loyauté comment, le plan de gouvernement de la Syrie proposé par la Turquie étant tout à fait contraire à ses idées, il décline d’avance la responsabilité des événemens qui pourront arriver en Syrie. (Documens anglais, p. 433, n° 347.)
  2. Ibid., p. 452, n° 352.