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léon a fait tout le contraire. Il a serré en masse sa cavalerie, cinquante-sept escadrons, du côté opposé, vers sa droite, en face de Tongrenelle et de Sombref, où il n’a dessein de rien entreprendre de sérieux. Ce rassemblement de cavalerie est fait pour tromper l’ennemi. Celui-ci croit qu’un grand effort le menace de ce côté, il y retient inutilement tout le 3e corps prussien, celui de Thielmann ; mais l’endroit par où Napoléon veut percer l’armée prussienne est précisément celui où il ne montre ni cavalerie, ni réserve. Les troupes destinées à porter le dernier coup seront tenues la journée entière à l’écart loin du champ de bataille, vers Fleurus ; elles ne s’ébranleront, elles ne se démasqueront qu’au dernier moment : alors elles devront quitter la gauche pour se porter précipitamment au centre. Leur mouvement sera si rapide qu’il devra tromper toutes les prévisions du maréchal Blücher. Sans doute abusé par ces démonstrations, Blücher aura porté ses dernières réserves sur sa droite, à Saint-Amand : ce sera le moment de le culbuter, en perçant le centre à Ligny. Napoléon montre de loin à Gérard le clocher de ce village : voilà le point décisif qu’il le charge d’enlever.

Telle est la conception de la bataille par le chef de l’armée française. Ces dispositions, que je sache, n’ont pas trouvé de critiques. Dans la manière dont Napoléon masque son dessein pendant la plus grande partie de l’action, ses plus vifs adversaires ont reconnu l’empereur.


V. — BATAILLE DE LIGNY.

À deux heures et demie, Vandamme fait aborder le village de Saint-Amand par la division Lefol ; celle de Berthezène la suit. On a dit que les nôtres s’élancèrent en chantant[1]. Leur ardeur est si grande que les Prussiens sont culbutés. Deux régimens de renfort accourent pour les soutenir, ils sont renversés à leur tour. Dès ces premiers momens, la division prussienne de Steinmetz a déjà perdu quarante-six officiers et deux mille trois cents soldats ; mais sitôt que les Français veulent déboucher de l’autre côté de Saint-Amand, à la naissance du ravin, ils sont écrasés par les batteries de Ziethen et obligés de rentrer dans leurs abris. À leur extrême gauche, la division Girard déborde le village : elle s’avance en colonnes sur l’extrémité de la ligne prussienne. Le maréchal Blücher lance au-devant d’elle la division de Pirch II. Cette division ne réussit qu’à pénétrer au milieu du village ; elle cède devant les soldats de Girard. Blücher la ramène au feu. Il galope au-devant des bataillons ; on l’entend crier avec fureur : « En avant ! au nom de Dieu ! » Il ramène les siens

  1. Vaulabelle.