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seule issue; il faut s’y précipiter sans prendre aucun repos. A peine a-t-on touché ce que l’on croyait devoir être un abri, il faut rentrer dans le torrent de la déroute. « C’étaient, dit un écrivain que j’aime à citer, les horreurs de Vilna aux portes de la France[1]. »

Napoléon, arrivé à Philippeville, presque seul, y est rejoint par son secrétaire et quelques-uns de ses aides-de-camp, Drouot, Labédoyère, Dejean. Il se jette sur un pauvre lit d’auberge, une larme tombe de ses yeux. C’est dans cette maison d’auberge qu’il dicta le bulletin de la bataille. Il le fit lire devant ses généraux. Ceux-ci le trouvèrent exact à l’exception d’un seul point. Napoléon avait tout avoué, hormis la prise de sa voiture. Ce détail avait quelque chose d’humiliant pour lui; il avait voulu se l’épargner, sachant bien que l’imagination des foules glorifie les grands désastres et dégrade les petits. Ses généraux insistèrent; il céda. Alors tout fut consommé. La France et le monde apprirent de Napoléon lui-même ce que renfermait le nom encore inconnu de Waterloo.


IX. — RÉSUMÉ DES OPINIONS ÉMISES SUR LA BATAILLE DE WATERLOO.

Telle fut cette bataille de Waterloo, qui retentira dans la plus lointaine postérité, avec celles d’Arbelles et de Zama, quoiqu’à vrai dire elle soit sans exemple dans l’histoire par la prodigieuse fortune qui s’écroula en un moment. Les Français y laissèrent 25,000 hommes, sur lesquels 6,000 prisonniers. Cinq généraux avaient été tués, Bauduin. Desvaux, Jamin, Michel, Duhesme, dix-huit blessés. On avait fait en hommes des pertes presque doubles à des journées tenues avec raison pour des victoires, par exemple à la Moskova. Les Anglo-Hollandais perdirent 15,094 tués ou blessés, près du quart de leur armée; les Prussiens, 7,000 hommes. Ceux-ci tirent un orgueil légitime des forces que Napoléon dut leur opposer. Ils en font l’énumération suivante : Lobau, 16 bataillons; la garde, 14 ; la division Durutte, 8; total, 38 bataillons, auxquels il faut joindre les 3,000 chevaux de Domon et de Subervie. C’est donc presque la moitié de l’armée française qui a été occupée par l’armée prussienne.

Des historiens ont compté jusqu’à treize fatalités dans cette courte campagne. Réduisons-les à une seule. S’il y eut des traîtres, ils furent, Dieu merci, en trop petit nombre pour avoir pu influer sur les événemens. Napoléon, pendant ces quatre jours, ne fut trahi que par son génie.

Dès que la matinée du 18 avait été perdue par une confiance trompeuse qui laissait aux corps prussiens le temps d’arriver, la journée était presque sans ressource. Quant à l’excuse du mauvais

  1. Le colonel Charras.