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passa trois heures et demie. Toutes les chances qui restaient aux Français dépendaient de l’emploi de ces momens. Au lieu de porter Lobau et ses réserves au-devant des Prussiens et de différer les nouvelles attaques sur les Anglais, une autre résolution, a-t-on dit, était possible. Napoléon, en supputant les trois heures et demie qu’il fallait encore à Bulow pour entrer en ligne, eût pu négliger ce corps sur son flanc droit, de la même manière qu’à Rivoli il avait négligé le corps de Lusignan, qui venait lui couper la retraite. Dans ce cas, il eût opposé à Bulow un rideau de cavalerie et de flanqueurs embusqués dans les bois de Lasnes pour retarder encore son arrivée. Sans un instant de délai, il eût renouvelé sur la gauche anglaise une attaque à fond, désespérée. Cette même cavalerie, qui s’est dépensée inutilement à l’endroit le plus difficile du champ de bataille, eut été lancée sur la gauche anglaise, là où la crête s’abaisse, et lui eût offert un passage plus libre. D’ailleurs elle n’eût pas été seule, elle eût été soutenue de tout ce qui avait été rassemblé du corps de d’Erlon, de toute l’infanterie de Lobau, et cette infanterie elle-même eût eu pour appui les vingt bataillons de la garde à pied. On n’avait, il est vrai, que trois heures et demie pour vaincre ; mais combien ces heures ainsi employées eussent pu produire de résultats ! La cavalerie seule a mis en grand péril la ligne anglaise ; que serait-il arrivé si cette même cavalerie eût été suivie de cette masse d’infanterie qui bientôt à son tour allait aussi se consumer inutilement et sans soutien! Certainement on ne s’aventure pas beaucoup en avançant que la gauche anglaise eût été enlevée et toute l’armée prise à revers. C’est là ce que craignait Bulow, ce qui lui inspira de se jeter prématurément dans la mêlée avec la moitié de son corps d’armée, le reste en arrière encore de plusieurs lieues.

Voilà une des choses qui pouvaient très vraisemblablement arriver; mais il se pouvait aussi, quoique cela soit moins probable, que ces trois heures ne fussent pas suffisantes pour emporter la gauche anglaise, que la crise ne fut pas assez préparée, que l’ennemi, ayant encore ses forces, ses réserves intactes, opposât à une attaque désespérée une défense également désespérée. Dans ce cas, Bulow arrivait presque sans obstacle sur les derrières de l’armée française, qui aurait été tout entière engagée sur son front, n’ayant plus un seul homme de réserve. La victoire lui aurait encore été une fois enlevée, mais plus tôt, quoique avec des suites, ce semble, moins funestes, puisque les corps de Pirch et de Ziethen ne pouvaient prendre part à la lutte.

Telles sont les deux chances qui se présentaient et que peuvent peser ceux qui aiment à remplir l’étendue de ce grand désastre par des conjectures faciles aujourd’hui à former. Ceux-là arriveront à cette conséquence, que la seule chance de vaincre que Napoléon