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Wellington et Blücher communiquent à chaque instant; toute cette longue nuit perdue dans l’incertitude, car on ne peut croire à des ordres portés par un seul officier, dont il ne reste aucune trace, pas même dans les ordres postérieurs, et le matin le même oubli persistant, quand déjà les hussards de Blücher sont en vedettes dans le bois de Frichermont, et y remplacent les avant-postes anglais; l’aveuglement ne cessant que lorsque les Prussiens débouchent en masse sur les hauteurs de Saint-Lambert, et à ce moment même, depuis une heure jusqu’à quatre heures et demie, nulle mesure efficace pour leur disputer le défilé du bois de Lasnes, où, d’après leur propre aveu, quelques bataillons les eussent arrêtés, mais une espérance vague de voir Grouchy derrière eux, et cette espérance tenant lieu de toute précaution efficace pour les prévenir; dans le premier ordre envoyé à ce maréchal, vers dix heures, un peu avant la bataille, une simple instruction de lier les opérations; la marche sur Wavre approuvée et confirmée, mais pas même à cette heure-là l’ordre formel de se rabattre en tout ou en partie sur Waterloo. Cet ordre n’est donné qu’à une heure après midi, sous le coup de la nécessité; il ne parviendra à Grouchy qu’à sept heures du soir, à cinq lieues du champ de bataille, quelques instans avant que la catastrophe ne soit consommée. Ces fautes-là n’appartiennent pas à Grouchy; elles appartiennent toutes à Napoléon.

Le désastre de Waterloo n’est donc pas le résultat d’une faute seule, mais d’une série de fautes, les unes éloignées, les autres immédiates, que l’on peut résumer ainsi : — le peu d’élan donné à l’esprit public, la nation tenue endormie pendant trois mois sur l’imminence du péril : d’où la faible augmentation de l’armée, accrue seulement de 43,000 hommes; dès le lendemain de l’entrée en campagne, la lenteur de Napoléon à prendre un parti à Charleroi : d’où la perte de la matinée entière du 16, qui ne permit pas de profiter de la victoire de Ligny; les 20,000 hommes de d’Erlon en vue de Saint-Amand négligés et rendus inutiles; la nuit entière du 16 au 17 donnée à l’ennemi pour se refaire et se rallier, ce qui lui permit de se préparer à rentrer en ligne dès le lendemain avec les Anglais; toute la matinée du 17 perdue en vaine attente : d’où l’impossibilité de joindre les Anglais ce jour-là et de les battre séparément; l’erreur prolongée jusqu’au bout sur les projets de Wellington et de Blücher, et cette erreur persistant au moment même où déjà ces projets s’exécutaient; le mépris d’un ennemi que l’on croyait détruit entraînant à ne plus le craindre; la matinée entière du 18 perdue dans une fausse sécurité, et les Anglais attaqués trop tard à Waterloo, comme les Prussiens l’avaient été trop tard à Ligny; le plan de bataille changé après l’échec du général d’Erlon; la formation