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sion de Sainte-Hélène, ce maréchal, toujours le premier au feu, avait oublié la moitié de ses troupes, le corps de d’Erlon, à deux lieues en arrière ; il ne s’en était souvenu que lorsqu’il s’était trouvé lui-même aux prises avec l’ennemi. Alors il avait envoyé en toute hâte à ce corps l’ordre d’avancer ; mais il était trop tard, et c’était une des raisons pour lesquelles ces 20,000 hommes de d’Erlon s’étaient promenés, dans la journée du 16, entre les Quatre-Bras et Ligny, sans avoir été engagés nulle part : grand malheur assurément, qui ne serait jamais arrivé sans le trouble d’esprit où était le maréchal Ney depuis les événemens de 1814.

Cette fiction historique sur un fait si important, si facile à vérifier, a duré jusqu’au moment où le général d’Erlon a expliqué lui-même ce qui s’était passé. Malheureusement il ne l’a fait qu’en 1829, lorsque la fiction s’était déjà enracinée dans l’esprit des multitudes, et qu’il était déjà un peu tard pour la faire disparaître. Le général d’Erlon expliqua alors qu’il avait reçu du maréchal Ney, le vendredi 16 juin, vers onze heures ou midi, l’ordre de diriger son corps sur Frasnes et les Quatre-Bras. Immédiatement ses troupes, déjà sous les armes, s’étaient mises en mouvement en toute diligence. Pour lui, il les avait devancées à Frasnes. Là, il avait été rejoint par un aide-de-camp de Napoléon, le général Labédoyère. Celui-ci lui fit voir une note au crayon qu’il portait au maréchal, laquelle lui enjoignait de diriger son premier corps sur Ligny. Labédoyère prévint en outre le général d’Erlon qu’il avait déjà donné l’ordre d’exécuter ce mouvement et fait changer la direction des colonnes. Sur cet avis, d’Erlon avait pris la route indiquée, il avait porté ses troupes au canon de Saint-Amand, jusqu’à ce qu’il fût rappelé impérativement par le maréchal Ney, aux prises avec des forces triples, qui augmentaient à vue d’œil et menaçaient de l’accabler. Napoléon n’ayant rien fait pour attirer à lui le 1er corps, lorsque celui-ci touchait au champ de bataille, d’Erlon avait dû obéir à son chef immédiat et rejoindre le maréchal aux Quatre-Bras.

Du moins il avait pris sur lui de laisser à portée de Napoléon la division Durutte et trois régimens de la cavalerie Jaquinot ; mais l’empereur n’avait pas profité de ce détachement plus que du corps entier. Là aussi, les généraux avaient discuté vivement entre eux ; les uns voulant, avec le général Brue, que l’on se portât au canon et que l’on attaquât les Prussiens à revers et en queue, par Wagnelée, les autres que l’on se contentât de rester en observation et d’attendre les volontés de l’empereur. Ce dernier parti avait été adopté par le général Durutte, qu’une plus grande responsabilité alarmait. Ce détachement, qui eût pu être si utile, dut se contenter d’inquiéter l’ennemi de loin par quelques coups de canon. La nuit avait mis fin à ces démonstrations sans importance.