Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/395

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’enfoncer dans les ténèbres. Ils entendirent un battement d’ailes autour du feu, puis, comme dans la vision d’un rêve, ils se retournèrent et se rendormirent.

Environ une heure après, la corne de Lagarmitte sonnait le réveil. En quelques secondes, tout le monde fut debout. Les chefs d’embuscade réunissaient leur monde : les uns se dirigeaient vers le hangar où l’on distribuait des cartouches, les autres emplissaient leur gourde d’eau-de-vie à la tonne ; tout cela se faisait avec ordre, le chef en tête ; puis chaque peloton s’éloignait dans le demi-jour vers les abatis aux flancs de la côte. Quand le soleil parut, le plateau était désert, et, sauf cinq ou six feux qui fumaient encore, rien n’annonçait que les partisans occupaient tous les points de la montagne, et qu’ils avaient passé la nuit dans cet endroit. À sept heures, aucun mouvement n’apparaissait encore dans la vallée. De temps en temps Catherine Lefèvre ouvrait le châssis d’une fenêtre de la grande salle et regardait : rien ne bougeait, les feux étaient éteints. En face de la ferme, à cent pas, sur un talus, on voyait le Cosaque tué la veille par Kasper ; il était blanc de givre et dur comme un caillou. À l’intérieur, on avait fait du feu dans le grand poêle de fonte. Louise, assise près de son père, le regardait avec une douceur inexprimable. Le docteur et l’anabaptiste, tous deux graves et solennels, causaient des affaires présentes, et Lagarmitte, derrière le poêle, les écoutait avec recueillement.

— Nous avons non-seulement le droit, mais encore le devoir de nous défendre, disait le docteur ; nos pères ont défriché ces bois, ils les ont cultivés… C’est notre bien légitime.

— Sans doute, répondait l’anabaptiste d’un ton sentencieux ; mais il est écrit : « Tu ne tueras point ; tu ne répandras point le sang de tes frères ! »

Au même instant, la porte s’ouvrit, et l’une des sentinelles restées en observation sur le bord du plateau cria :

— Maître Jean-Claude, venez voir ; je crois qu’ils veulent monter.

— C’est bien, Hans, j’arrive, dit Hullin en se levant. Louise, embrasse-moi !… Du courage, mon enfant… N’aie pas peur, tout ira bien !

Il la pressait sur sa poitrine, les yeux gonflés de larmes. Elle semblait plus morte que vive. — Et surtout, dit le brave homme en s’adressant à Catherine, que personne ne sorte ; qu’on n’approche pas des fenêtres ! — Puis il s’élança dans l’allée. Tous les assistans étaient devenus pâles.

Lorsque maître Jean-Claude eut atteint le bord de la terrasse, plongeant les yeux sur Grandfontaine et Framont, à trois mille mètres au-dessous de lui, voici ce qu’il vit.

Les Autrichiens, arrivés la veille au soir, ayant passé la nuit, au