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la côte se mit à pétiller de coups de fusil tout le long des retranchemens ; mais les Autrichiens, sans répondre, continuèrent d’avancer vers les abatis, le fusil sur l’épaule et les rangs bien alignés comme à la parade.

Pour dire la vérité, plus d’un brave montagnard père de famille, voyant monter cette forêt de baïonnettes malgré la fusillade, pensa qu’il aurait peut-être mieux fait de rester au village que de se jeter dans une pareille affaire ; mais, comme dit le proverbe, le vin était tiré, il fallait le boire. Riffi, le petit tailleur, se rappela les paroles judicieuses de sa femme Sapience : — Riffi, vous vous ferez estropier, et ce sera bien fait ! Il promit un ex-voto à la chapelle de Saint-Léon ; mais en même temps il résolut de faire bon usage de son grand fusil de munition.

À deux cents pas des abatis, les Autrichiens firent halte et commencèrent un feu roulant tel qu’on n’en avait jamais entendu dans la montagne : c’était un véritable bourdonnement de coups de fusil ; les balles, par centaines, hachaient les branches, faisaient sauter des morceaux de glace, s’écrasaient sur les rochers, à droite, à gauche, en avant, par derrière. Elles ricochaient avec des sifflemens bizarres et passaient parfois comme des volées de pigeons. Les montagnards continuèrent leur feu. Toute la côte s’enveloppa d’une épaisse fumée bleuâtre. Au bout d’environ dix minutes, il y eut un roulement de tambour, et soudain toute cette masse d’hommes se prit à courir sur les abatis, les officiers comme les autres, criant : — Forwaertz ! forwaertz ! La terre en tremblait. Materne, se dressant de toute sa hauteur, à côté de la tranchée, les joues frémissantes, la voix terrible, s’écria : — Debout ! debout !

Il était temps, car bon nombre de ces Autrichiens grimpaient déjà des pieds et des mains le long des glaces, et voulaient sauter dans les retranchemens ; mais à mesure qu’ils montaient, on les assommait à coups de crosse, et ils retombaient. C’est en ce moment qu’on vit la belle conduite du vieux bûcheron Rochart. À lui seul il en renversa plus de dix. Il les saisissait sous les bras et les lançait sur la route. Le vieux Materne avait sa baïonnette à sanglier toute gluante de sang, et le petit Riffi ne cessait pas de charger son grand fusil et de tirer dans le tas avec enthousiasme. Et Joseph Larnette, qui reçut malheureusement un coup de fusil dans l’œil, Hans Baumgarten, qui eut l’épaule fracassée, Daniel Spitz, qui perdit deux doigts d’un coup de sabre, et une foule d’autres, dont les noms devront être honorés et vénérés de siècle en siècle, ne cessèrent pas une seconde de charger et de décharger leurs fusils. Au-dessous de la rampe, on entendait des cris affreux, et quand on regardait par-dessus, on voyait des baïonnettes hérissées, des hommes à cheval.

Cela dura bien un bon quart d’heure. On ne savait ce que les Au-