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main, pleuvaient autour d’eux comme la grêle. Tout était paré d’avance, et chaque riposte mettait un homme à terre. Marc Divès reçut à bout portant deux coups de pistolet, dont un lui noircit la joue gauche et l’autre enleva son feutre. Lui, courbé sur sa selle, son long bras en avant, il clouait en même temps le grand officier à moustaches blondes sur une de ses pièces ; puis, se relevant lentement et regardant autour de lui les sourcils froncés : — Les voilà tous nettoyés, dit-il d’un ton sentencieux, les canons sont à nous !

Pour concevoir l’ensemble de cette scène terrible, il faut se figurer la mêlée à droite, les hurlemens, les hennissemens des chevaux, les cris de rage, la fuite des uns, jetant leurs armes pour courir plus vite, l’acharnement des autres ; au-delà du ravin, les échelles couvertes d’uniformes blancs, hérissées de baïonnettes, les montagnards sur la rampe se défendant avec désespoir ; les flancs de la côte, la route, et surtout le bas des retranchemens encombrés de morts et de blessés. La masse des Autrichiens, le fusil sur l’épaule, les officiers au milieu d’eux, se pressait de suivre le mouvement. Materne, debout sur la crête du talus, la crosse en l’air, la bouche ouverte jusqu’aux oreilles, appelait à grands cris son fils Frantz, qui accourait avec sa troupe.

Divès ne perdit pas de temps à faire des réflexions poétiques sur le tumulte et l’acharnement de la bataille. D’un regard il eut jugé la situation, et, sautant de son cheval, il s’allongea sur la première pièce encore chargée, saisit les leviers de l’affût pour en changer la direction, pointa, et, ramassant une mèche qui fumait à terre, il fit feu. Aussitôt s’élevèrent au loin des clameurs étranges, et le contrebandier, regardant à travers la fumée, vit une trouée sanglante dans les rangs de l’ennemi. Il agita les deux mains en signe de triomphe, et les montagnards, debout sur les abatis, lui répondirent par un hourra général.

— Allons, pied à terre ! dit-il à ses hommes. Il ne faut pas s’endormir. Une gargousse par ici,… un boulet,… du gazon. C’est nous qui allons balayer la route !

Les contrebandiers se mirent en position, et le feu continua sur les habits blancs avec enthousiasme. Les boulets bondissaient dans leurs rangs par enfilade. À la sixième décharge, ce fut un sauve qui peut général. — Feu ! feu ! criait Marc. — Et les partisans, enfin appuyés par la troupe de Frantz et dirigés par Hullin, reprirent les positions qu’ils avaient un instant perdues. Tout le long de la côte ce ne furent bientôt que fuyards, morts et blessés. Il était alors quatre heures du soir ; la nuit venait. Le dernier boulet tomba dans la rue de Grandfontaine et renversa la cheminée du Bœuf rouge. Environ six cents hommes périrent en ce jour : il y eut des monta-