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dir tous les partisans de la tranchée, et le combat recommença plus terrible, plus désespéré que la première fois.

Hullin avait envoyé Lagarmitte porter l’ordre à Frantz Materne, qui se trouvait posté de l’autre côté du Donon, d’arriver en toute hâte avec la moitié de ses hommes. On peut s’imaginer si le brave garçon, prévenu du danger que courait son père, perdit une seconde. Déjà l’on voyait les larges feutres noirs grimper la côte à travers les neiges, la carabine en bandoulière. Ils accouraient aussi vite qu’ils pouvaient, et pourtant Jean-Claude, descendant à leur rencontre, la sueur au front, l’œil hagard, leur criait d’une voix vibrante : — Allons donc !… plus vite ! De ce train-là, vous n’arriverez jamais ! — Il frémissait de rage, attribuant tout le malheur au contrebandier.

Cependant Marc Divès, au bout d’une demi-heure environ, avait fait le tour du ravin, et du haut de son grand roussin il commençait à découvrir les deux compagnies d’Autrichiens, l’arme au pied, à cent pas derrière les pièces qui faisaient feu sur les retranchemens. Alors, s’approchant des montagnards, il leur dit : — Camarades, vous allez tomber sur l’infanterie à la baïonnette ; moi et mes hommes, nous nous chargeons du reste. — Toute la troupe en bon ordre s’avança vers la lisière du bois, le grand Piercy de Soldatenthal en tête. Presque au même instant, il y eut le wer dà ! d’une sentinelle, puis deux coups de fusil, puis un grand cri : Vive la France ! et le bruit sourd d’une foule de pas qui s’élancent ensemble. Les braves montagnards fondaient sur l’ennemi comme une bande de loups.

Divès, debout sur ses étriers, son grand nez en l’air et les moustaches hérissées, les regardait en riant : Ça va bien ! disait-il. La mêlée était épouvantable, la terre en tremblait. Les Autrichiens pas plus que les partisans ne faisaient feu ; tout se passait en silence : le froissement des baïonnettes et le bruit des crosses, traversé de loin en loin par un coup de fusil, des cris de rage, des trépignemens, du tumulte, on n’entendait pas autre chose !

Les contrebandiers, le cou tendu, le sabre au poing, flairaient le carnage, attendant le signal de leur chef avec impatience, — Maintenant c’est notre tour ! dit enfin Marc. À nous les pièces ! — Et de l’épaisseur du fourré, leurs grands manteaux flottant comme des ailes, les reins penchés et la brette en avant, ils partirent. — Ne sabrez pas, pointez ! dit encore Marc.

Ce fut tout. Les douze vautours en une seconde furent sur les pièces. Il y avait parmi eux quatre vieux dragons d’Espagne et deux anciens cuirassiers de la garde que le goût du péril attachait à Marc. Je vous laisse à penser ce qu’ils firent. Les coups de levier, d’écouvillon et de sabre, seules armes que les artilleurs eussent sous la