Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/419

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Amazone et l’Orénoque. Ne pourrait-on tenter quelque heureuse sortie vers ces solitudes inexplorées, comme ont fait les pionniers des États-Unis vers les déserts naguère inconnus et inhabités du far west ? La fortune n’y promettrait-elle rien aux audacieux ? À ces questions que posa de tout temps une patriotique ambition, la nature et la politique semblent répondre par d’insurmontables obstacles. De près comme de loin, tout est entrave. Au-delà de ces sauts de roches que nous avons indiqués comme termes de la navigation intérieure, toute exploration ne peut se faire qu’à pied, et le voyageur, à peine débarqué, se trouve engagé dans une forêt immense, inextricable. Dans ce fouillis de troncs et de flancs dont aucun sentier n’éclaire le labyrinthe, au milieu d’un silence accablant qu’interrompent seuls quelques cris d’oiseaux et de singes, dans une atmosphère étouffante, bien vite les forces s’épuisent et le courage faiblit. Les plus intrépides rebroussent bientôt chemin, heureux s’ils rencontrent la cabane de quelque pauvre famille sauvage qui leur donne l’hospitalité, quoique peut-être elle n’ait pas toujours eu à se louer-de la civilisation ! On croit généralement que des émigrans ont avantage à trouver devant eux un pays vide de tout habitant. C’est une erreur. Le sauvage lui-même est un ami pour le pionnier qui sait gagner sa confiance, et il lui rend, pour les besoins d’une première installation, de précieux services.

La course la plus lointaine entreprise au cœur de la Guyane a été celle des jésuites Béchamel et Grillet, qui en 1674 pénétrèrent à quatre-vingts lieues dans l’intérieur. Malgré quelques autres excursions, on ne peut dire des explorations, la Guyane, dans son massif central, reste couverte de voiles presque aussi épais que le jour où, sur la fin du XVe siècle, Walter Raleigh s’y jetait en aventurier pour gagner la faveur de la reine Elisabeth : on ne les soulèverait qu’à l’aide d’une expédition munie de puissans moyens d’action et fortifiée par l’esprit des grandes découvertes. Livrée à ses misères et à ses divisions, la société guyanaise est incapable de tels efforts, et le gouvernement local se garde de desseins aussi téméraires. Contrairement d’ailleurs à l’observation générale, qui constate que la température baisse en proportion de l’élévation des lieux au-dessus du niveau de la mer, on croit à Cayenne que l’intérieur de la colonie serait encore plus difficilement habitable que le littoral. La brise de mer n’y peut parvenir, dit-on, arrêtée qu’elle est par les forêts et le cercle extérieur des montagnes : l’atmosphère, concentrée et pesante, jamais ventilée, doit y être viciée. De tels doutes ne peuvent être dissipés que par l’inspection même des lieux. Rappelons toutefois que, par une singulière tendance de son imagination, l’homme a toujours peuplé de monstres et d’épouvantails les régions qu’il ne connaissait pas,