Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/451

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

scié des bois, construit des loges, tracé des avenues qui deviendront des têtes de routes, élevé un quai, établi des chantiers de charpentiers, de menuisiers, de sabotiers, monté des fours à briques, préparé des terres pour les cultures et érigé une église dont le clocher envoie dans le feuillage ses tintemens qui animent la solitude. Le village naissant n’éveille aucune idée de prison, et le châtiment des fautes se réduit à renvoyer les coupables sur un autre pénitencier, pour les remplacer par de meilleurs sujets. »

Dans les solitudes du Maroni a commencé pour la première fois la véritable réforme pénitentiaire, qui reconnaît pour ressorts nécessaires la famille et la propriété. Des mariages suivis de concessions de terres sont venus très heureusement favoriser les bonnes résolutions. Par leur présence, le gouverneur et le préfet apostolique ont donné à ces cérémonies une solennité calculée pour le bien. On peut considérer comme à peu près perdu en vaines expériences tout ce qui a été fait en dehors de cette voie, qui sera, on l’espère, étendue à toutes les situations qui le comportent ; mais tout le monde n’est pas à marier dans les bagnes, et l’on souhaiterait la faveur d’une concession à tous les condamnés qui le mériteront par leur bonne conduite. Quant aux hommes célibataires, dont l’évasion n’est pas à redouter, soit à cause de leur caractère, de leur âge, du peu de temps que les peines ont à courir, la population de la Guyane s’étonne de ne pas les voir employés aux travaux publics, surtout aux routes, pour lesquels les bras font défaut, plutôt qu’à des cultures de sucre ou de café, qui n’ajoutent rien à la prospérité du pays et coûtent à l’administration dix fois plus qu’elles ne rapportent. Par les labeurs, même périlleux pour la santé, qui assainissent un pays, l’expiation s’accomplit, la réhabilitation s’opère mieux que par quelques heures de culture indolente ou par le louage des services en dehors de la ville et de l’île de Cayenne, récemment autorisé en faveur des condamnés dont on est satisfait. On reproche avec raison à l’autorité militaire, qui a conservé jusqu’à ce jour la direction des pénitenciers, de ne pas savoir faire tourner le travail des forçats à l’utilité générale. En effet, la colonie tient beaucoup à ses transportés pour les services indirects qu’elle en retire. Le service pénitencier y verse tous les ans 3 ou 4 millions, qui ont peut-être préservé la Guyane d’une liquidation. Les communications régulières et fréquentes avec la métropole ont éveillé le sentiment, jusqu’alors inconnu, de la protection de la France. Par cette conviction, le courage des colons s’est raffermi comme leur patriotisme, et la pensée d’une cession aux États-Unis, qui un moment traversa les esprits après 1848, s’est évanouie comme un mauvais rêve.

Sur l’état sanitaire des pénitenciers, de vagues rumeurs ont dû prendre la place des renseignemens authentiques qui faisaient dé-