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la religion. Il resterait ensuite à instituer des écoles dans les campagnes en allégeant les frais de l’instruction primaire dans la ville, en provoquant la fondation de salles d’asile et de sociétés de secours mutuels; il resterait à élargir le régime douanier de la colonie, déjà libéral à Cayenne, à réduire dans les services administratifs les frais généraux qui dévorent le budget local, à favoriser la création d’une presse indépendante. Il faudrait enfin reconnaître le droit de pétition. — rétablir un conseil colonial ou général avec de sérieuses attributions, — attirer les Indiens et les noirs des bois, — reconnaître l’intérieur du pays et rejoindre par nos fleuves les hauts bassins de l’Amazone, — en un mot susciter l’essor des forces et des volontés privées dans tout ce qui est du domaine des particuliers, appliquer exclusivement les forces et les volontés de l’état à ce qui est sa mission propre, afin de refaire la réputation de l’établissement aux yeux de la France et de l’Europe, et dans cette voie préférer les ressorts moraux qui élèvent les âmes à la contrainte matérielle ou légale qui les abaisse.

Avec ces améliorations, ces garanties et ces libertés, la Guyane ne deviendra pas un paradis terrestre; elle ne justifiera pas le nom de France équinoxiale; elle inspirera une légitime défiance aux tempéramens non acclimatés, et l’on pourra toujours regretter qu’entre tant de beaux pays du globe que nos émigrans du XVIe siècle s’étaient appropriés, nos gouvernemens aient attaché plus de prix à conserver ce coin de terre brûlée du soleil que la vallée tempérée du Mississipi et les fraîches prairies du Canada. Néanmoins la Guyane cesserait de nous être jetée à la face comme une injure et un défi; le courant de l’émigration européenne qui s’écoule autour de nous ne s’en détournerait plus comme d’une terre maudite. Alors se réaliserait cette prophétie que Humboldt inscrivait au commencement du siècle dans son immortel voyage aux régions équinoxiales, et par laquelle nous terminerons notre étude : « Il en sera de ces contrées fertiles, mais incultes, que parcourent le Guallaga, l’Amazone et l’Orénoque, comme de l’isthme de Panama, du lac de Nicaragua et du Rio-Haasacuabo, qui offrent une communication entre les deux mers. L’imperfection des institutions politiques a pu pendant des siècles convertir en déserts des lieux sur lesquels le commerce du monde devrait se trouver concentré; mais le temps approche où ces entraves cesseront. La civilisation va se porter irrésistiblement dans ces contrées, dont la nature elle-même annonce les grandes destinées par la configuration du sol, par l’embranchement prodigieux des fleuves et par la proximité des deux mers qui les baignent. »


JULES DUVAL.