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derniers d’une génération qui était venue au monde à la mauvaise heure des partages, qui a traversé toutes les crises, toutes les révolutions du siècle, et qui s’en va sans avoir touché au terme des désastres dont elle vit la triste aurore. C’est en 1757 que Julien-Ursin Niemcewicz était né dans le palatinat de Brzesc, sur les confins de la Lithuanie et de la Mazovie. Il avait pour grand-père un hussard de Sobieski, qu’il a peint lui-même avec ses ailes, son armure et son arc, menant la libre vie du gentilhomme campagnard: les événemens retentissaient dans cette maison paternelle qu’il a décrite d’un trait original dans ses mémoires, et la première forte impression qu’il ressentit fut quand il vit sa mère s’évanouir de douleur en apprenant l’enlèvement des sénateurs à Varsovie en 1768. De ses yeux étonnés d’enfant il voyait s’ouvrir une crise où il y avait comme une lutte entre le bon et le mauvais génie de la Pologne. La vieille anarchie locale se défendant avec un acharnement d’héroïsme sous une couleur d’attachement aux mœurs nationales et à la liberté; un mouvement tardif de régénération se révélant par des tentatives de réformes emportées dans la confusion ; des partis turbulens toujours prêts à courir aux armes, déchirant le royaume, se démenant, se confédérant; un roi, Stanislas-Auguste Poniatowski, bon de cœur, léger d’esprit, faible de caractère, flottant des uns aux autres, patriote par éclairs et retombant sous le joug de son ancienne maîtresse Catherine II, qui lui avait donné la couronne; la fureur des plaisirs et des fêtes envahissant cette société aristocratique et guerrière entourée dans ses cours d’heiduques, de pages et de cosaques; la Russie, la Prusse et l’Autriche encourageant les divisions pour intervenir, fomentant l’anarchie qui assurait leur proie et se faisant en secret leur part des dépouilles : c’était là le spectacle étrange et saisissant de ce peuple à l’héroïsme brillant et inutile, marchant à la catastrophe à travers les convulsions et les plaisirs. Vie romanesque où ne manquaient ni les aventures dramatiques, ni les figures vigoureuses, ni même les héroïnes passionnées! La confédération de Bar fut la grande explosion de tous ces élémens confus; le premier partage fut le dénoûment. Là commence réellement ce duel séculaire d’une nationalité retrempée, éclairée par son malheur même, et de la triple domination qui l’enlace sans la vaincre, sans l’étouffer. Là s’ouvre cette triste carrière où les conquérans, poussés par une violente logique, sont obligés d’aller jusqu’au bout, et où des générations frémissantes vont revendiquer sans cesse leur héritage perdu. Une nouvelle Pologne se lève.

C’est au milieu de ces émouvantes péripéties de la confédération de Bar et du premier partage que grandissait et mûrissait Julien Niemcewicz, élevé d’abord à l’école des cadets de Varsovie avec