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Kosciusko, Wessenhof, Mostowski, Kniaziewicz et tous ceux qui allaient avoir un rôle dans les destinées nouvelles de la Pologne. Lié naturellement de goût et de fortune à cette génération, il commençait par jeter son feu de jeunesse dans cette vie de plaisirs où se reposait un moment cette société si profondément remuée. C’était un brillant cavalier, accueilli, recherché, ayant son entrée dans la haute aristocratie, surtout chez les Czartoriski, et courant à tous les succès. Il jouait la comédie dans les salons et peut-être aussi dans les boudoirs. Le XVIIIe siècle soufflait à Varsovie. Le mondain ne s’est jamais perdu dans le patriote chez Niemcewicz. C’était d’ailleurs une nature alerte et fine, moins légère et moins enivrée de dissipations qu’on ne l’eût dit. Les voyages ouvrirent son esprit et furent pour lui un stimulant nouveau. Il commença son odyssée, comme il le disait, en 1783, en partant de Varsovie avec le prince Czartoriski, le père du prince Adam, et il alla partout, en Allemagne, en Hollande, en Italie, à Malte, en France, en Angleterre, voyageant gaiement et observant beaucoup, s’amusant du mariage du doge avec l’Adriatique à Venise et du roi Ferdinand vendant les poissons sur le marché de Naples, assistant au procès de Warren Hastings à Londres et donnant des leçons de danse au futur roi d’Angleterre. « C’est à moi, disait-il plus tard avec une pointe d’humour, que l’Angleterre est redevable de ce que le roi George IV sait danser la cosaque. » Paris l’attirait surtout; il y respirait à pleine intelligence l’air et les idées du temps. On touchait à 1788, à une nouvelle et décisive crise pour la Pologne, avant que la France elle-même n’entrât en scène. Ce mouvement de régénération intérieure qui était un instant apparu dans les convulsions d’une nationalité menacée, et que le partage de 1772 avait un moment interrompu, ne s’était point arrêté en effet; il avait pénétré au contraire plus profondément jusqu’au cœur de cette société éprouvée. Dans ce qui restait de la Pologne, l’éducation transformait les esprits, des idées nouvelles germaient, et la pensée d’associer le peuple lui-même à l’œuvre commune de reconstitution devenait le mot d’ordre d’une politique. Voilé sous le faste et les plaisirs qui régnaient à Varsovie, ce mouvement se précisait et s’étendait. Il apparut au grand jour en 1788 par la grande diète d’où sortit la constitution du 3 mai 1791. Niemcewicz était à Paris; il courut aussitôt à Varsovie pour prendre part aux travaux de la grande diète comme nonce de Livonie. C’était son début d’homme public. Son odyssée avait été jusque-là riante et facile, elle allait être agitée et même quelquefois devenir sombre sans altérer la bonne humeur de cette nature qui entrait dans la carrière la plus orageuse avec la fermeté du cœur et la fertilité d’un esprit passionné.