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des Wessenhof, et, se multipliant avec le péril, il employait toutes les formes de l’action; il dirigeait et enflammait l’opinion par la presse, par la tribune, par le théâtre. Constitutionnel de principes et de goût, mais patriote avant tout, ce qu’il poursuivait dans ses adversaires, c’étaient moins des dissidens d’opinion que des auxiliaires de l’étranger. Pour lui, le Russe était l’ennemi, et il le criblait de traits mordans et sanglans, sans épargner la majesté de la grande Catherine elle-même, fort éclaboussée dans la mêlée.

Niemcewicz, sans avoir l’esprit fait pour les grands desseins, avait le don de l’action et de l’initiative. Ce fut lui qui, avec Mostowski et Wessenhof, créa à cette époque la Gazette Nationale et Étrangère œuvre de polémique sérieuse et hardie destinée à soutenir les réformes, à les populariser par le retentissement de la presse. Il n’a pas assez de cette arme du journal, il se sert du théâtre pour électriser l’esprit public, pour intéresser le peuple tout à la fois aux souvenirs de sa vie nationale et à ses destinées nouvelles. Il écrit le Retour du Nonce dans ses foyers et Casimir le Grand. C’étaient des commentaires rapides et vivans de tout ce qui agitait les âmes. Le Retour du Nonce mettait en présence l’ancienne et la nouvelle Pologne personnifiées. Ces œuvres étaient reçues avec passion; mais c’est surtout dans la diète que Niemcewicz déployait sa prodigieuse activité, éclairant toutes les questions d’une lucide et véhémente éloquence, exerçant bientôt la fascination d’un esprit supérieur. Chacun de ses discours était un acte, soit qu’il défendît l’hérédité du trône en rappelant qu’il y avait eu des peuples libres sous des rois, et que César et Cromwell avaient été des oppresseurs sans être couronnés, — soit qu’il soutînt la cause de l’émancipation des paysans au point de s’attirer les apostrophes d’un de ces fiers woïévodes qui ne comprenait rien que la noblesse, et qui lui disait en lui serrant la main à le faire crier : « Traître, tu as été gentilhomme et tu fraternises avec les vilains! » — soit enfin qu’il dressât l’acte d’accusation du parti de Branicki, de Félix Potocki, et de la Targowiça naissante. La tactique de ce parti était d’embarrasser les décisions de la diète, de traîner en longueur, en attendant de prendre les armes et d’offrir à la Russie ce facile prétexte d’intervention. Niemcewicz dévoilait hardiment ce système, poursuivait ces conspirateurs et réclamait l’armement du pays. Orateur, publiciste, écrivain dramatique, il marchait au même but. La constitution du 3 mai fut votée, mais il était trop tard; le principe de non-intervention n’était pas alors proclamé. Époque singulièrement émouvante de l’histoire de Pologne, où l’existence nationale elle-même était enjeu, où l’intensité de la passion publique se manifestait quelquefois par les scènes les plus curieuses, où le drame était partout, dans les salons, dans les